Contrairement à ce qu’on voudrait faire croire, la crise s’approfondit : aux Etats-Unis, tous les déficits augmentent ; les défauts des banques s’aggravent ; et même si Wall Street est en hausse, sa valeur est encore 40% inférieure à celle d’octobre 2007. De plus, chacun murmure, dans les cercles informés, qu’il faut s’attendre à bien d’autres tsunamis : sur les crédits immobiliers privés, sur les cartes de crédit, et sur l’immobilier commercial.
Pour y répondre, les Etats-Unis, dans un pari fou, investissent l’argent qu’ils n’ont pas dans les secteurs de pointe. Et la Chine, dans un pari tout aussi audacieux, abandonne tout espoir d’une reprise de ses exportations vers l’Amérique et investit, dans une relance gigantesque, 20% de son PIB en infrastructures internes.
L’Europe, face à cela, ne fait rien. Paralysée par son histoire et par ses prudences, elle préfère croire que la crise va se régler d’elle-même. Ayant tout misé sur une réforme de la gouvernance mondiale, dont la comédie de Londres n’a naturellement pas accouché, elle semble désormais attendre que le marché sorte de sa poche un remède miracle. Privée de dirigeants audacieux à Bruxelles , l’Union ne se donne aucun moyen nouveau ni pour protéger ses banques, ni pour relancer ses secteurs de pointe. 2008 et 2009 resteront comme les années du néant européen. L’euro lui-même ne résistera pas à un tel choc.
Il est temps pour la France de comprendre que, à ce rythme là, le pire est presque certain : un marché immobilier en baisse ; une surcapacité de production dans les grands secteurs ; une récession en 2009, 2010, et même de 2011 ; le chômage dépassera les 3,5 millions de personnes ; le déficit budgétaire atteindra , malgré tous les maquillages, les 8 ou même les 10 % du PIB, à moins d’augmenter massivement les impôts, ce qui sera de plus en plus difficile, avec l’approche des élections présidentielles ; les élites scientifiques et techniques se révolteront ou partiront, écœurées par la révélation des fortunes faites dans la finance .
Il faut affronter une réalité difficile, la répéter tous les jours, jusqu’à ce qu’on la comprenne : Si le pouvoir politique n’agit pas massivement, de façon véritablement révolutionnaire, la récession est là pour au moins dix ans ; elle débouchera sur un décrochage de l’Europe et de la France, à jamais distancées par les pays qui auront compris l’importance des révolutions en cours.
Agir, c’est donc relancer massivement l’industrie par des dépenses clairement ciblées sur les secteurs d’avenir : la santé, l’énergie, l’agriculture, les infrastructures, l’environnement, les nouveaux matériaux, les logiciels, les nanotechnologies, les neurosciences, les services de pointe et les industries culturelles. Et pour cela augmenter significativement les salaires des chercheurs, des professeurs, des médecins, des ingénieurs, c’est-à-dire de tous ceux, qui par leur créativité apportent aux pays. Au détriment, si nécessaire, des revenus et des privilèges de ceux qui les dirigent, les financent ou les distraient. C’est accepter provisoirement des déficits ciblés pour financer ces dépenses d’avenir. C’est promouvoir de nouveaux modèles d’entreprises, plus soucieux du long terme, et proches de ceux des ONG et des services publics ; c’est orienter la finance vers la prise de risque dans les secteurs de long terme, et non vers le profit pour compte propre.
Ce n’est pas d’un nouveau plan de relance que nous avons besoin, mais d’une véritable prise de conscience des urgences culturelles et politiques. Et en particulier d’une remise en cause radicale de la répartition des pouvoirs entre ceux qui créent et ceux qui financent, condition, une fois de plus, de notre survie.