Il est très difficile, pour la plus part d’entre nous, d’admettre que nous sommes en train de changer de monde. Et, même ceux qui disent le reconnaitre, en sont encore, pour la plupart, à demander « combien de temps durera la crise ? ». Comme si l’après-crise ne pouvait etre qu’un retour à l’ordre antérieur.
De même, toutes les discussions actuelles sur la nature de la « relance » nécessaire ( par la consommation ou par l’investissement) révèlent que la plupart des politiques et des économistes continuent de raisonner comme si nous traversions une crise classique, redevable de « relances », c’est-à-dire de dépenses budgétaires permettant de revenir au plus vite à la situation antérieure, supposée d’ harmonieux équilibre .
De fait, jusqu’ici, partout dans le monde, les politiques économiques des Etats se sont limitées à de telles relances, dont le but réel n’est en fait que de conserver l’ordre ancien, et d’en protéger les élites.
Ainsi, la relance par la consommation n’est elle qu’un ersatz d’une politique des revenus, ne distribuant aux plus démunis que quelques miettes, sans remettre réellement en cause la répartition des fortunes, des revenus et des pouvoirs. De même, la relance par l’investissement n’est pour l’instant qu’une façon de protéger les secteurs aujourd’hui dominants et surendettés, (banque, assurance immobilier, automobile).
L’une ou l’autre de ces relances ne visent en fait qu’à sauver temporairement du désastre les élites du passé; et même à leur permettre de faire des profits nouveaux, en spéculant sur les dettes accumulées ; comme par exemple le plan Geithner, préparé par les banquiers de Goldman Sachs, qui va fournir à quelques fonds spéculatifs des moyens de faire fortune avec l’argent des contribuables.
Ainsi, dans le naufrage qui s’annonce, tout se passe, partout dans le monde, et en France en particulier, comme s’il n’y avait de gilets de sauvetage qu’en première classe. Alors qu’il serait au contraire essentiel d’investir dans les industries d’avenir tout l’argent qu’on s’apprête à perdre dans les secteurs en difficulté.
Et d’abord dans l’éducation, la formation des jeunes chômeurs, la sélection et la rémunération des chercheurs. Puis dans le financement des petites entreprises innovantes, pour en faire des groupes de taille mondiale, créateurs d’emploi, en particulier dans les secteurs clés du monde à venir : les énergies nouvelles, (surtout le solaire et le nucléaire ), les biotechnologies, les organes artificiels, l’internet des objets, les nanotechnologies.
Pour y parvenir, une fois faites au moindre cout les inévitables nationalisations du secteur financier, il faudra réduire massivement l’endettement et orienter l’épargne privée et publique vers ces entreprises d’avenir. Les Etats-Unis viennent de le comprendre un peu, en consacrant une petite part de leurs énormes plans de relance à ces secteurs stratégiques ; et en particulier en augmentant d’un tiers le budget du principal Institut de recherche en matière de santé, le NIH.
Naturellement, tout cela aurait infiniment plus de sens pour la France si cela se faisait au niveau de l’Europe ; si, au lieu de chercher à préserver le plus longtemps possible leurs élites défaillantes, les dirigeants des 27 pays membres de l’Union se consacraient, pour une fois, à l’avenir de leur jeunesse : celle qui ne vote pas. Ou qui, en tout cas, ne vote pas pour eux. Mais c’est sans doute beaucoup trop leur demander.