Nous, Français, nous avons l’art de nous disputer sur les solutions à apporter à des problèmes ne dépendant pas de nous, ou sur des questions secondaires, pour mieux enfouir les choix stratégiques à notre portée, parce que nous ne voulons pas faire.
Ainsi, aujourd’hui, se déchire-t-on sur l’immigration, en oubliant que ce sujet est devenu, de facto, depuis les accords de Schengen, de compétence européenne. Et on dispute de l’ampleur de l’impôt sur la fortune ou du bouclier fiscal, alors qu’ils ne représentent qu’une part lilliputienne de nos recettes fiscales.
D’autres problèmes plus sérieux nous assaillent et leur solution est à notre portée. Ainsi de la dette publique, qui continue de grandir, et de la compétitivité de l’économie française, qui s’effondre. Au rythme actuel d’insouciance budgétaire et fiscale, la dette publique atteindra 100% du PIB en 2015 au plus tard ; le déficit du commerce extérieur et celui de la balance des paiements augmentent à un niveau jamais atteint, même pendant la crise de 1983 : celui du commerce extérieur est de 3,5% du PIB contre 1,1% en 1983 et 0,9% en 2000. Et la balance des paiements, qui n’était déficitaire que de 0,9% en 1983, et excédentaire de 1,7% du PIB en 2000 accuse maintenant un déficit de 3,6% du PIB ! Pendant que l’Allemagne a un excédent de près de 10% du PIB en balance commerciale et de plus de 5% en balance des paiements ! Seul l’euro nous protège, pour un moment encore, d’une glissade vers l’abîme.
Tout cela dans un contexte international (économique, financier, commercial, militaire, politique) formidablement fragile, qui va conduire chaque nation à se battre de plus en plus férocement contre toutes les autres. Qu’on ne s’y trompe pas : la croissance économique mondiale actuelle est bâtie sur du sable ; elle peut s’effondrer à chaque instant, comme un château de cartes, si l’un ou l’autre des principaux détenteurs de capitaux se met à ne plus croire à cette fuite en avant des pays riches dans les dettes publiques ; s’ils refusent de financer plus longtemps le sauvetage des banques occidentales par leurs prets aux Etats ; et s’ils renoncent à miser plus longtemps encore sur une hypothétique sortie de crise par le progrès technique et social du monde.
La France doit donc se préparer à ces temps difficiles. Elle doit absolument retrouver des marges de manœuvres. D’ici à la fin de cette année, elle doit débattre sérieusement de l’état du pays (en particulier de sa dette publique et de sa compétitivité) et s’entendre sur les instruments qui lui reste pour agir sur son destin ; avant de choisir, pendant la campagne, les priorités à retenir. Si ce débat sérieux se déroule, la France comprendra alors qu’il lui faudra, qui que ce soit qui l’emporte, comme tous les autres pays le font, s’occuper sérieusement de son école primaire, de la formation de ses travailleurs et de ses chômeurs, de la recherche dans les entreprises ; qu’il lui faudra augmenter ses impôts, regrouper ses collectivités territoriales, rassembler ses services publics, retrouver une culture d’innovation, rendre leur lustre aux métiers de l’industrie et s’ouvrir sur le large.
Si ce débat sérieux n’a pas lieu ; si on ne s’entend pas d’ici à la fin de l’année, sur les faits et les moyens d’action ; la campagne se réduira à des surenchères d’invectives et de scandales ; on écoutera des promesses ; on continuera à vivre dans l insouciance. Jusqu’à ce que la tyrannie des faits impose sa dictature.