Parmi les nombreux écueils que recèle encore la crise, il en est un d’ampleur tout à fait considérable, encore soigneusement dissimulé, malgré son imminence : Dans quelques semaines, les banques vont devoir annoncer leurs résultats de 2008 ; elles devront alors reconnaitre que leurs fonds propres (c’est-à-dire l’argent dont elles disposent, ou les entreprises dont elles possèdent au moins 20% du capital, ce qu’on nomme dans le langage technique le « tier one ») ont diminué, en raison de la baisse de la valeur de ces actifs et du caractère toxique de beaucoup d’entre eux.
Selon certaines estimations, ces fonds propres, évalués de la façon la plus généreuse possible, ont en effet fondu d’au moins 1000 milliards de $. Or, selon la réglementation imposée par les accords entre banques centrales, dite de « Bale II », ce tier one doit représenter au moins 7% du montant des crédits des banques ; c’est-à-dire que celles-ci, doivent prêter moins de 15 fois ce qu’elles ont en caisse. Si ce ratio est dépassé, les banques devront se procurer de nouveaux fonds propres ou réduire leurs prêts, ce qui approfondira leur récession.
De plus, les banques centrales, ne souhaitant pas etre accusées d’avoir été trop laxistes, voudront sans doute, dans les semaines qui viennent, augmenter ce ratio de 7% à 9%, c’est-à-dire que les banques ne pourront plus prêter que 12 fois leurs ressources.
Or, selon certaines estimations, le total des prêts bancaires du monde (85 trillions de $) est 18 fois le total des fonds propres des institutions financières ; et même, pour certaines d’entres elles, parmi les plus respectées, ce ratio est de plus de 50, au lieu de 15 autorisé ! Pour satisfaire les exigences des régulateurs, il faudrait augmenter les fonds propres des banques françaises d’au moins 100 milliards d’euros, et de 3000 milliards ceux des banques du monde.
Seuls les gouvernements seraient assez fous pour investir aujourd’hui dans des banques. Ils auront donc le choix entre une nationalisation, au moins partielle, ou la réduction massive des crédits. Nationalisation ou dépression, tel est le choix. Il est fait d’avance, pour tout gouvernement, de gauche comme de droite. Et ces nationalisations ont déjà commencé en Grande Bretagne et en Irlande.
Pour éviter qu’elles ne mettent à bas tout le processus de la construction européenne, en mettant les institutions financières au service des intérêts nationaux de leurs actionnaires publics, il faudrait que la Commission européenne dispose d’un outil de nationalisation à son niveau, qu’on pourrait appeler un outil d’ »Unionisation ». Et qu’elle puisse aussi isoler les actifs toxiques, qui réduisent la valeur des actifs, dans une structure ad hoc, comme le fit, avec grand succès, la Suède en 1992.
Aujourd’hui, rien ne permet juridiquement à la Commission de devenir actionnaire d’entreprise, ni même de s’opposer aux changements des normes de tier one par les Banques Centrales. Rien ne lui permettrait non plus, de financer une telle dépense, par son budget exsangue, et limité à 1, 28% du PIB européen.
Si on ne veut pas que l’inquiétude sur la solidité du système bancaire européen vienne s’ajouter à celle qui s’annonce sur la solvabilité de certains gouvernements, sans doute faudra- t-il en venir là. Personne n’y est préparé.