A priori, la microfinance est trop petite pour représenter un enjeu significatif dans la crise financière mondiale qui vient de commencer : elle ne concerne que les plus pauvres des entrepreneurs du monde, qui n’empruntent que quelques centaines de dollars par an, pour assurer leur fonds de roulement, ou pour développer leur petite affaire. Au total, elle ne représente qu’un encours mondial de 30 milliards de dollars, ce qui est évidemment dérisoire, comparé aux 80.000 milliards de dollars d’encours du système bancaire mondial. Plus encore, beaucoup regardent avec mépris ces institutions de microcrédit, comme si elles incarnaient la forme la plus archaïque de la finance, qu’il faut très vite dépasser, pour permettre à tous les gens du monde d’avoir accès aux banques conventionnelles, dont la présence dans un quartier ou une ville est vue par ces soit-disant élites comme une marque de progrès économique et social.
En réalité, elle est au cœur de ce qui constituera un jour la réponse structurelle à la crise financière. Parce qu’elle est fondée sur des principes exactement inverses de ceux pratiqués par les banquiers qui ont déclenché la crise : une finance éthique, responsable, au service de l’entreprise, fondée sur la connaissance intime du client.
Chacun reconnait maintenant que la source principale des désordres actuels réside dans un système financier tout occupé à faire des profits pour lui-même par un octroi excessif de crédits à des consommateurs ou des entreprises n’ayant pas nécessairement les moyens de rembourser ( en particulier les plus pauvres, au moyen des prêts subprimes), transférant à d’autres les risques de ces crédits , gardant pour soi l’essentiel des profits qui devraient revenir aux entreprises, en inventant des produits virtuels, sans aucune réalité. Les banquiers sont devenus les héros d’un système dont il devrait être les serviteurs. Ils se servent trop souvent avant de servir.
La micro-finance répond point par point à ces critiques, par les quatre principes qui la fondent, et qui devraient inspirer la réforme du système financier mondial :
-D’abord, par sa philosophie : la micro-finance vise à aider ses clients à devenir autonomes, en leur accordant des crédits générant des revenus, et non pas les endettant, sans espérance de richesse nouvelle autre qu’une spéculation patrimoniale. Si le système bancaire américain avait appliqué les principes de la micro-finance, les subprimes n’auraient sans doute jamais existé.
-Ensuite par son mode d’octroi des crédits : connaître les besoins des clients. Les agents de crédit, dans la micro-finance, connaissent leurs clients, ils ont une idée très précise de leur capacité à rembourser. Si le système bancaire avait appliqué ce principe, il n’aurait jamais accepté de financer des prêts titrisés à des clients lointains, mal connus.
-Aussi par sa façon de concevoir la façon de risquer : une institution de micro-finance garde dans son bilan les crédits qu’elle accorde, donc les risques ; et ne prend même parfois pas de gages. Si le système bancaire avait appliqué les principes de la micro-finance, il n’aurait jamais accepté de transférer les risques à d’autres acteurs, perdant tout contact avec l’analyse réelle des risques, avec la seule garantie fantomatique des CDS.
-Enfin par sa morale : servir. La micro-finance est au service des entreprises et non d’elle-même. Elle considère que sa finalité est d’aider les entreprises clientes à faire des profits plus que d’en faire elle-même. Même si ses taux d’intérêt sont élevés, les profits qu’elle dégage sont très inférieurs à ceux des entreprises qu’elle finance. Si le système bancaire mondial avait appliqué les principes de la micro-finance, il n’aurait jamais accepté de garder pour lui l’essentiel des profits créés par ses prêts. Cela ne l’aurait pas empêché de participer à une forte croissance : celui de la micro-finance est à deux chiffres.
Il est donc essentiel de promouvoir aujourd’hui la microfinance et de mettre ses quatre principes au cœur de la réforme de la finance mondiale. De comprendre que les principes de la micro-finance, que les principes d’une finance éthique, ne sont en rien ceux d’une finance archaïque, mais qu’ils constituent l’avenir de la finance, la condition de la survie de l’économie mondiale. Il est en particulier essentiel de faire de la finance une industrie au service des autres et non d’elle-même. De faire de la banque un service d’intérêt général et non une source d’accaparement du profit. Il est aussi urgent d’utiliser les patrons de cette industrie financière si particulière comme conseils dans la réforme du système bancaire mondial.
Sans doute faudra-t-il beaucoup d’efforts pour convaincre les maîtres de la finance d’aujourd’hui, dont l’arrogance reste entière, malgré leur débâcle, d’écouter ces banquiers au pied nus, venus de nulle part. Il faudra aussi lui accorder beaucoup plus de moyens pour se développer, pour toucher plus de pauvres, relançant ainsi une demande mondiale saturée au Nord par l’excès de dettes, et participant ainsi à l’émergence d’un monde nouveau, plus équilibré, plus juste, dont la naissance marquera le commencement de la fin du désordre actuel.