Cette si célèbre formule de croupier s’applique à merveille à la situation du monde, en ce début du mois d’août 2012.
Pendant qu’un peuple continue de se faire massacrer en Syrie, pendant que s’installe au Nord du Mali un régime terroriste qu’il faudra bien aller, un jour prochain, déloger les armes à la main, pendant que, en Europe, les banquiers centraux promettent d’agir à la place de gouvernements tétanisés par la peur de déplaire, se préparant en sous main à la fin de l’euro, ou au moins à l’exclusion des plus faibles, et d’abord de la Grèce, pendant qu’en France se préparent d’autres plans de licenciements, pendant qu’aux États-Unis une campagne électorale insipide masque la faillite d’un pays sous un déluge de messages publicitaires dérisoires des candidats, les médias du monde entier n’ont de place que pour les jeux olympiques.
On peut comprendre et se passionner pour le sport. On peut admirer ces athlètes, aux exploits souvent magnifiques, en général aboutissement intègre d’années d’effort. Mais, on ne peut se cacher que ces compétitions prennent, jeux après jeux, un tour de plus en plus particulier, où le nationalisme devient un outil au service du divertissement.
Dans quelque pays qu’on soit, on n’entend parler que des athlètes de ce pays : essayez, en Italie, de savoir ce qu’ont fait les athlètes allemands, ou en France, ce qu’ont fait les athlètes russes ; essayez aux États-Unis de connaître le nom même des rivaux des athlètes américains, impossible.
Chacun est obsédé par le nombre de médailles que va ramener son équipe, comparé à celui des jeux précédents, sans se rendre compte que cela ne signifie rien. D’abord parce que le nombre de sports augmente d’une olympiade à une autre. Ensuite parce que beaucoup d’athlètes qui concourent pour un pays vivent et s’entraînent dans un autre. Ensuite encore parce que des milliards de femmes et d’hommes en sont encore exclus. Enfin parce que cela ne dit rien du niveau du sport dans un pays, et encore moins de son bien-être.
En fait, ce nationalisme est un instrument du spectacle : dans chaque roman, dans chaque film, le lecteur tend à s’identifier à un personnage. Dans le spectacle des jeux, dont les artistes sont les sportifs de plus en plus rémunérés, depuis que la fiction de l’amateurisme a disparu, l’identification se fait autour de la nation. Chacun est appelé à s’identifier non à un héros mais à un drapeau.
Tout y concourt: les cérémonies, les décomptes, les commentaires.
Le seul élément positif de ce nationalisme sportif est qu’il se manifeste pour un pays, et pas contre un autre. Rien de guerrier. Juste un désir d’appartenance à un groupe vainqueur, ce dont chacun est souvent privé, dans sa vie professionnelle, comme dans celle de son pays.
Les jeux vont se terminer. On comptera les médailles. Dans les pays placés les plus haut au palmarès, les politiques iront accueillir les athlètes à leurs retour. Dans les autres, on renverra quelques entraîneurs et quelques ministres.
Saura-t-on alors en revenir aux choses sérieuses ? Tous ces problèmes qui, pendant que ces illusions nous occupaient, n’auront pu que s’aggraver ?
Saura-t-on au moins retenir ce qu’il y a de meilleur dans l’utopie des jeux : un monde dans lequel les meilleurs l’emportent, le travail est toujours récompensé et où les plus pauvres ont les même chances que les plus puissants ?