LA décision prise par le sommet de Lyon au cours du dîner du jeudi 27 juin marque un tournant radical dans l’histoire de ces sommets et menace de constituer une grave défaite diplomatique pour la France et pour l’Europe.
Jusqu’à présent, les présidents de la République successifs se sont toujours tenus à un principe simple : le sommet des Sept était une réunion informelle, jamais précédée ni suivie de réunions des ministres des Sept, dans aucun domaine, sauf les finances.
La justification de cette position était claire : si l’on acceptait la multiplication de telles réunions, on en viendrait vite à la constitution de centres de décision à sept, imposant leurs décrets aux institutions internationales, hors des procédures officielles. En particulier dans le domaine de la sécurité, la France s’est toujours méfiée de toute réunion ministérielle qui donnerait compétence à ces sept pays dans des domaines dans lesquels l’indépendance de la France n’est pas réduite par son appartenance à une alliance.
A l’inverse, la tentation américaine a toujours été d’utiliser ces sommets pour élargir le champ de compétence de l’Alliance atlantique, tant géographique en proposant aux Sept des résolutions sur le Moyen-Orient, Cuba ou l’Asie du Sud-Est que technique en y faisant traiter des sujets comme le terrorisme, la drogue ou la sécurité aérienne.
A plusieurs reprises, la France a dû s’opposer à de telles tentatives. Chaque fois avec succès. Par exemple, en 1979, au sommet de Bonn, quand les Américains voulurent mettre en place une institution à sept sur le terrorisme aérien ; en 1983, à Williamsburg, quand ils voulurent créer une institution à sept sur la sécurité de l’Asie ; en 1986, à Tokyo, quand ils proposèrent la mise en place d’une organisation à sept de lutte antiterroriste ; en 1989 (sommet de l’Arche), quand ils suggérèrent l’installation d’un consortium à sept pour gérer la transition des pays de l’Est vers la démocratie et l’économie de marché ; en 1993, à Munich, sur les problèmes de drogue.
La France a cédé sur un point capital en acceptant qu’une réunion des sept ministres des affaires étrangères et de l’intérieur se tienne en juillet à Paris.
Chaque fois, la France a su l’empêcher, expliquant qu’elle souhaitait se concerter d’abord avec ses partenaires européens et ne pas se voir lier, à la va-vite, par un communiqué imposé à la fin d’un dîner. Elle réussit ainsi à éviter que les Etats-Unis n’imposent à leurs partenaires européens et asiatiques des choix conformes à leurs seuls intérêts stratégiques et commerciaux.
Il était tout à fait normal que le sommet de Lyon réagisse au tragique attentat terroriste qui a coûté la vie à dix-neuf américains en Arabie saoudite. Il était aussi tout à fait souhaitable qu’il marque la volonté ferme de chacun des pays membres de lutter contre ce terrible fléau. Mais pas plus. La France a d’ailleurs eu raison de refuser d’avaliser les lois américaines interdisant à toutes les entreprises étrangères d’investir dans certains pays. Elle a su aussi obtenir, à juste titre, que le communiqué sur le terrorisme reste vague et qu’il mentionne ‘ la nécessité pour tous les Etats d’adhérer aux conventions internationales ayant pour objet cette lutte ‘.
Mais elle a cédé sur un point capital en acceptant qu’une réunion des sept ministres des affaires étrangères et de l’intérieur se tienne en juillet à Paris. Cette décision risque en effet, en échange d’un effet d’annonce et d’une photo souriante, de créer les conditions d’une mise sous tutelle de sa diplomatie et de sa politique commerciale dans des régions du monde où elle n’était jusqu’ici tenue par aucune solidarité institutionnelle. Il aurait mieux valu renvoyer de tels sujets aux institutions internationales compétentes. Et si elles n’existent pas, de décider de les créer, sans en limiter l’appartenance aux seuls pays du sommet.
Cette erreur n’est sans doute pas le résultat d’une volonté stratégique de la France de s’aligner sur les Etats-Unis. Elle n’est que la conséquence d’un désir irréfléchi de faire plaisir à des invités insistants. Comme ce fut déjà le cas avec l’organisation à Lille et à Cabourg des réunions à sept des ministres de l’emploi et de l’environnement. Avec le succès que l’on sait.
Il est encore possible de refuser cet engrenage en décidant que la réunion des ministres à Paris, en juillet, ne sera pas limitée aux Sept, mais qu’y seront également invités les autres pays membres de l’Union européenne (les questions commerciales sont de compétence communautaire) et ceux de l’OCDE (dont la compétence institutionnelle dans ces domaines est reconnue).
La courtoisie n’est jamais une arme diplomatique, car elle n’est jamais payée de retour. En politique internationale, la meilleure façon de dire ‘ non ‘, c’est de dire ‘ non ‘.