Deux évènements distants en apparence, viennent une fois de plus, nous dire beaucoup sur notre temps et notre avenir : La fermeture soudaine de la radiotélévision publique ERT, entraînant le licenciement d’environ 2.700 employés et la bataille pour inscrire ou refuser l’industrie de l’audiovisuel et du cinéma dans la grande négociation commerciale euro-américaine qui va commencer.
La première s’inscrit dans le cadre des engagements de la Grèce pour réduire sa dette publique. Le gouvernement actuel s’est en particulier engagé à supprimer 2.000 emplois publics d’ici à fin juin. Il fut d’abord question de licencier 2000 fonctionnaires jugés corrompus. Faute d’y être parvenu, le premier ministre s’est résolu à fermer la télévision publique, connue pour être un nid de gaspillage et de clientélisme , souhaitant rétablir à terme une sorte de service minimum avec un peu d’informations et beaucoup de rediffusions .
La deuxième s’inscrit dans la longue histoire des relations culturelles tendues entre les Etats-Unis et l’Europe. La mise en place progressive en France d’ obligations d’investissement dans la production cinématographique et audiovisuelle, de quotas de diffusion et d’exposition des œuvres nationales et européennes par les chaînes de télévision, a permis à la France de faire du cinéma français le troisième mondial ; la part de marché du cinéma national y approche les 40 %, quand elle n’est que de 20 % en Allemagne ou en Espagne, et est inférieure à 10 % en Grèce ou en Irlande. Les tentatives américaines pour s’ouvrir le marché français et combattre une concurrence jugée déloyale, sont passées par mille ruses. Les plus récentes furent le projet de l’OCDE d’une réduction globale des subventions, puis la tentative de la Commission Européenne d’inclure la culture dans le grand débat commercial global, qui va bientôt commencer et dont les Etats-Unis ont tant besoin. Les deux ont échoué.
Le choc de ces deux sujets, l’immense émotion provoquée par l’un et par l’autre, s’expliquent par la place nouvelle prise , dans la vie quotidienne comme dans l’économie, par la culture et l’information. Elles doivent absolument être disponibles, mais personne ne veut en payer le juste prix. Il est donc nécessaire d’en passer par des subventions publiques, condition de l’accès de tous à la culture et de la pluralité des sources d’information et de création. L’argent peut être le pire ennemi de la démocratie. Il en est aussi la condition d’existence.
Mais cela ne signifie pas qu’il faille autoriser tous les gaspillages Et tout ce qui vient de se passer en Grèce, comme les débats qui ont récemment animé le cinéma français, montrent qu’il peut y avoir un bien meilleur usage de l’argent public investi dans la culture et l’information que celui qui consiste trop souvent à entretenir des petites coteries, à ne financer que les films des mêmes, par les mêmes, pour les mêmes. A entretenir des mécanismes de subventions excessifs de l’intermittence, et des salaires inconsidérés pour certains comédiens.
Le moment est donc venu, dans ce domaine comme dans tant d’autres, de sortir des rentes de situation, d’utiliser les nouvelles technologies pour faire autrement des journaux, de la radio, de la télévision, du cinéma, du spectacle vivant ; pour repenser totalement les canaux de distribution de films en ligne et pour développer des services numériques nouveaux (télévision de rattrapage, vidéos à la demande, nouveaux média) sur des plateformes européennes avec des produits européens .
Que cela soit une leçon pour toutes les dimensions de notre vie publique, où la participation du contribuable doit être en permanence défendue et réinventée.