Selon une théorie fondamentale de la physique, la théorie de l’information, un bruit devient une information quand il prend un sens dans un référentiel. Lorsqu’il n’a pas de sens, il parasite la circulation des informations, et peut détruire le référentiel, le système, dans lequel elles circulent, en y créant du chaos. Dans certaines conditions, que la théorie étudie, le bruit peut, après avoir détruit un système, un ordre, après un chaos, recréer les conditions d’un ordre supérieur, d’un niveau d’intégration plus complexe.  La destruction de l’ordre s’accompagne de l’augmentation de l’entropie du système. Sa restauration s’accompagne d’une réduction de l’entropie, qui ne peut être que provisoire et locale.

Cette théorie, dite « théorie de l’ordre par le bruit », qui se fonde sur des modèles mathématiques très complexes, dont la source se trouve chez des savants comme Claude Shannon, René Thom ou Benoit Mandelbrot, a trouvé son application dans la théorie des réseaux et donc dans toute la téléphonie et dans toutes les applications numériques, jusqu’à l’intelligence artificielle. Elle trouve aussi des applications en génétique, en biologie, en climatologie et dans bien d’autres domaines.

Certains (j’en fais partie) ont essayé de l’appliquer à l’ordre social. On a pu montrer ainsi que la musique est une mise en ordre du bruit ; qu’une nouvelle musique est en général annonciatrice d’un bruit, d’une rupture dans l’ordre social, et que des signaux faibles, des bruits faibles, peuvent provoquer des chaos, jusqu’à recréer, parfois, un ordre totalement différent.

2025 mérite d’être examiné selon ce prisme :

L’ordre mondial antérieur, fondé sur une domination de quelques superpuissances, a été mis à mal de mille façons : des bruits venus des forces du marché, de la technologie, de puissances géographiques nouvelles, d’idéologies oubliées, de la nature, sont venus le contester, et créer un désordre, un chaos, dont 2025 pourrait voir l’explosion dans plusieurs domaines :

Une explosion militaire ; une guerre plus étendue au Moyen-Orient, avec un affrontement frontal entre Israël et l’Iran ; une guerre plus vaste en Europe, avec des troupes asiatiques (nord-coréennes) à la frontière de l’Union européenne, une guerre réelle et non plus larvée entre la Chine continentale et Taiwan ; une agression de la Corée du Nord contre le Sud ; un conflit régional en Afrique de l’Est, impliquant plusieurs puissances du Golfe.

Une explosion démographique, où le Nord paierait très cher son vieillissement et le Sud plus cher encore son rajeunissement. Avec des mouvements considérables de population.

Une explosion écologique : une accélération des catastrophes climatiques, un effondrement de la diversité, mettant en cause la survie même de l’espèce humaine.

Une explosion économique : une paralysie du monde par la mise en place de barrières douanières insurmontables entre les différents blocs

Une exposition technologique, avec des technologies échappant à leurs créateurs et des firmes technologiques devenues transfrontières et n’obéissant plus à leurs gouvernements. Avec, par exemple, Elon Musk menant sa propre diplomatie indépendamment de celle des Etats-Unis.

Une explosion financière, dans un monde plus endetté que jamais depuis qu’on en tient les archives, pouvant conduire à un effondrement de l’économie mondiale.

Ces bruits sont clairement facteurs de chaos. En particulier, ils entraîneraient une accélération du déclin de l’Europe, la désarticulation du projet d’Union, et une désarticulation de toutes les alliances.

Ces bruits peuvent aussi être facteurs d’ordre : en 2025, et dans les années suivantes, on peut en effet voir se mettre en place un armistice durable entre l’Ukraine et la Russie ; une reconnaissance réciproque d’Israël et de ses voisins, y compris par la création d’un Etat Palestinien ; la création d’un marché commun du Moyen-Orient de l’Ethiopie à l’Iran, après un effondrement du régime des mollahs, la mise en place d’une Europe de la défense, la mise en place d’un usage démocratique de l’intelligence artificielle et d’un ordre ; le renforcement de l’intégration politique, financière et militaire des pays membres de l’Union européenne. Enfin, on pourrait voir s’esquisser un nouvel ordre géopolitique mondial, permettant de basculer tous ensemble de l’économie de la mort à l’économie de la vie.

Tout dépend de ce que les humains feront de ces bruits ; s’ils savent décrypter à temps la signification des signaux faibles et agir pour leur donner du sens, le meilleur est possible : la théorie nous apprend que les bruits ne créent de l’ordre que si on réussit à leur donner un sens. Et en géopolitique, comme pour chacun de nous, un sens, c’est un projet.