On fête en ce moment le 500ème anniversaire de la décision de François 1er de créer le port du Havre. A l’époque, le port de Rouen, un des centres européens du commerce du textile, n’était pas suffisant vaste pour faire face à l’augmentation du trafic, et pour organiser la conquête du Nouveau monde, que le roi ne voulait pas laisser aux Espagnols.
Depuis, ce port n’a pas tenu ses promesses ; et c’est l’occasion de réfléchir à cette occasion ratée, parmi d’autres, de faire de la France un grand pays maritime. En effet, en créant ce port, on aurait pu, comme tous les autres grands pays, décider d’en faire la ville principale du pays. Au contraire, les rois de France n’ont rien fait pour y bâtir une ville, (sauf quelques avantages fiscaux) ; encore moins une capitale. Ils ont continué de vivre dans les châteaux qu’ils construisaient au bord de la Loire, et ils ont laissé la capitale de la France à Paris, c’est-à-dire au milieu de nulle part. Pendant qu’ailleurs, le pouvoir était à Venise, Genes, Anvers, Amsterdam , Londres, New York, Shanghai. Que des ports.
Pendant ces cinq siècles, et jusqu’à aujourd’hui, on n’a pas donné au Havre les moyens de se développer. Ni à aucun autre port de France. Tour à tour, les tentatives de Richelieu, de Mazarin, de Louis XV, de Napoléon 1er, de Louis XVIII, et de Napoléon III, ont échoué. Le Havre, malgré les efforts récents et louables des élus locaux et de l’Etat, n’est aujourd’hui que le 65ème port mondial ; Marseille n’est même pas dans les 100 premiers et Paris ne sera bientôt plus que l’arrière-pays de Rotterdam, premier port européen et 13ème port mondial.
Ce choix, fait il y a cinq siècles et confirmé si souvent depuis, fut déterminant. Il est mortel. A moins de réagir vite.
Pas question évidemment, de déménager la capitale hors de Paris, une des plus belles villes du monde, mais de faire enfin ce qui aurait dû l’être depuis cinq siècles, qui est annoncé depuis deux siècles au moins : regrouper en une entité administrative unique le territoire allant de Paris au Havre, en donnant à cette entité tous les moyens d’améliorer la capacité du port, les liens entre le port et la capitale, et avec le reste du pays, en particulier avec Lille, pour que les Hauts de France ne soient pas tentés de devenir une banlieue des Flandres.
C’est urgent : dans une ou deux décennies, en raison du changement climatique, les bateaux venant d’Asie passeront par un passage nouveau, ouvert dans l’Arctique par le dégel, sous le nom de « passage du Nord-Ouest ». Cela jouera une nouvelle fois contre le Havre et pour les ports de l’Europe du Nord. La France sera alors plus encore marginalisée qu’elle ne l’est aujourd’hui.
La mutation à entreprendre va beaucoup plus loin : l’obsession rurale et antimaritime de la France nourrit, et se nourrit, de la réticence française devant le changement, l’innovation, l’esprit d’aventure, et en particulier l’esprit d’entreprise. Cela explique la préférence de notre pays pour l’invariant, pour le retour du même, pour le passé, pour l’enracinement, pour la rente, au détriment du profit. Pour le revenu certain plus que pour le risque de faire fortune.
Or, la terre n’est pas nécessairement l’ennemi de la mer. Il n’est pas nécessaire de remettre en cause l’importance extrême d’une agriculture authentique, désindustrialisée, plus proche des consommateurs, plus transparente, pour faire vivre la mer et ses valeurs.
La France en a tous les moyens. Elle a le deuxième espace maritime mondial ; elle produit des bateaux de plaisance et de croisière mondialement compétitifs. Elle abrite un des tous premiers armateurs mondiaux ; et sa marine de guerre est encore une des toutes premières du monde. Elle a donc tout pour faire triompher les valeurs de ses marins, tant en économie qu’en politique, en art et en éducation.
Il lui faudrait ne pas manquer cette nouvelle occasion. Pour que le 500ème anniversaire du Havre soit une occasion positive de réfléchir vraiment sérieusement à l’avenir de notre identité.