Les élections russes, comme ce qui se passe aux Etats-Unis, en Chine, en Grande Bretagne et ailleurs, montrent que les plus vieilles recettes de stratégie politique restent encore les plus efficaces : Pour avoir les meilleures chances d’être soutenus par ceux qu’ils gouvernent, les dirigeants doivent leur désigner des ennemis, décrire de la façon la plus effrayante possible la menace qu’ils incarnent, et se présenter comme les mieux placés pour les protéger contre elle.
Et chacun le fait : le président russe a su convaincre ses concitoyens que son pays était entouré d’ennemis et qu’il pouvait mieux les en protéger que quiconque. Le président chinois a su dessiner une image claire de ceux dont son pays doit se faire respecter, et convaincre qu’il fallait lui donner tout le temps pour le faire. Le président américain a expliqué que son pays était menacé d’être envahi par les importations étrangères et que lui seul aurait le courage d’en protéger le pays. Enfin, la première ministre de Grande-Bretagne, en chute libre dans les sondages en raison de sa gestion catastrophique de la négociation du Brexit, tente de recréer une unanimité nationale autour d’elle en invoquant la menace d’une utilisation répétée de gaz toxiques sur le sol national.
Face à ces menaces plus ou moins imaginaires, la solution proposée par tous ces dirigeants, aussi divers soient-ils, est toujours la même : faire peur et s’isoler. Le populisme et le protectionnisme sont les deux dimensions d’une même ruse du politique.
En Europe continentale, le même genre de tentation se profile. Et là, l’ennemi c’est l’étranger ; la menace qu’il ferait peser, c’est la perte d’identité nationale ; et la promesse du politique, pour en protéger les peuples, est de fermer les frontières. Certains l’ont déjà mis en œuvre, et en font le cœur de leurs programmes, de la Pologne à l’Italie, de la Hongrie à la Suède. Même si les migrations vers l’Europe sont bien moins importantes qu’à de nombreux moments dans le passé, et si ces discours sont nourris de fantasmes. L’honneur de l’Allemagne, et de la France, est d’y résister encore. Mais pour combien de temps ?
Si tout cela se généralise, la juxtaposition de populismes, de protectionnisme et de xénophobies, ne pourra que conduire à une profonde crise économique et politique, voire à une guerre. Et ce n’est pas l’actuelle euphorie économique et technologique, qui nous en protègera. Bien au contraire : les nations sont toujours punies quand leurs dirigeants oublient que l’Histoire est tragique.
Pour l’éviter, il est essentiel que les peuples ne cèdent pas à ces sirènes, et ne suivent pas les politiques dans leurs querelles préfabriqués. Ils doivent pour cela développer entre eux des relations non politiques, multiplier les échanges privés entre associations, entreprises, ONG, fondations, troupes théâtrales, musées, élus locaux, étudiants, chercheurs, écrivains, journalistes. En particulier, il est urgent de multiplier les échanges entre les sociétés civiles européenne, américaine, russe, turque, arabe, israélienne, chinoise.
C’est dans le développement de ces contacts apolitiques que se situe le dernier espoir de la paix et de l’abondance, de l’altruisme et de l’empathie. C’est de cela, c’est-à-dire de chacun de nous, que dépend la nature du 21ème siècle.
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