La fréquence à laquelle les chefs d’Etat se rencontrent, en ce moment, tourne à la folie : depuis deux mois, ils se sont tous succédés à New-York à la tribune des Nations-Unies ; puis les mêmes se sont retrouvés en Egypte à la COP ; et les plus puissants d’entre eux se verront la semaine prochaine en Indonésie au G20, (que j’avais nommé, dès sa première édition, « G vain ») ; et à cela se sont ajoutés les sommets des blocs régionaux, européens, africains, asiatiques.
Quand on connait l’énormité de la logistique associée à ses réunions, le temps nécessaire pour s’y rendre, les quantités d’énergie consommées et l’argent dépensé, on se désole de n’y entendre qu’une juxtaposition de discours déjà connus, prononcés les uns après les autres, sans qu’aucun chef d’Etat n’en écoute un autre, sans aucune perspective de discussion sérieuse, sans recherche d’un accord véritable.
Pourtant, les dirigeants s’y précipitent, tout heureux de jouer aux puissants, de se faire admirer de leurs troupes, de se congratuler dans les couloirs, de jouir un moment de leur statut éphémère, d’oublier à l’étranger leurs soucis domestiques, et le peu de pouvoir qu’ils ont en réalité ; tout heureux de produire à la fin un communiqué commun suffisamment vide de sens pour être acceptable par tous ; tout heureux de diffuser de nouvelles images de leurs gloires, à destination de leurs opinions publiques, libres ou dominées.
Ces mascarades sont particulièrement nocives, parce qu’elles font croire aux dirigeants qu’ils sont puissants, ce qu’ils ne sont pas, et aux peuples qu’ils sont gouvernés, ce qu’ils ne sont pas non plus.
De plus, ces sommets sont maintenant devenus le prétexte à des réunions parallèles, où les grandes entreprises, les ONG, les groupes de pression les plus divers viennent exposer leurs points de vue aux médias, dans des caravansérails démontables, qu’on retrouve d’un lieu à un autre. Obscène tourisme diplomatico-médiatique.
Cette forme de diplomatie épuise, et s’épuise. Et les principaux chefs d’Etat commencent à bouder ce genre de rencontres : on n’aura vu à la COP ni l’Américain, ni le Chinois, ni le Russe, ni l’Indien, ni le Brésilien. Et le prochain G20 risque de n’être qu’une réunion clairsemée de quelques puissances moyennes jouant aux grandes.
Et pourtant, jamais la nécessité d’une coordination internationale n’a été plus grande. Jamais le monde n’a été plus menacé d’une fragmentation : la Chine se referme sur elle-même ; les Etats-Unis, même s’ils ont pour le moment échappé au pire, se dirigent à grands pas vers l’isolationnisme qui les attire depuis leur création. La Russie s’est exclue du monde. Et les puissances européennes, incapables de définir une vision géopolitique commune, retournent à grande vitesse à leurs égoïsmes suicidaires des siècles passés. Pendant que les événements démontrent chaque jour davantage que les frontières ne protègent pas des principales menaces : les pandémies, le réchauffement climatique, l’inflation, l’accumulation folle des richesses, les mouvements de population.
Seul, peut-être, dans des discours toujours d’une très haute tenue, et d’une lucidité implacable, l’actuel Secrétaires Général des Nations Unies, dit le vrai, sans langue de bois. Encore n’ose-t-il pas dire aux chefs d’Etats qui l’ont nommé qu’ils ne sont pour la plupart que de pathétiques comédiens sans public ; et que la diplomatie n’est plus que le spectacle décadent que se donnent quelques puissants. Un spectacle qui va bientôt finir. Mal. Pour eux.
Il est urgent de mettre fin à ces mascarades ; il faut sortir de la diplomatie des apparences. En revenir à son essence : négocier sérieusement, d’une façon compétente, confidentiellement, pour rechercher vraiment des compromis, sans faire étalage de positions initiales extrêmes, qui rendent impossibles toute conciliation.
En particulier, les présidents les plus sérieux ne devraient pas aller au prochain G20, où rien ne va se décider. Où rien, même, ne va se discuter qui ne puisse l’etre autrement.
Car, le covid l’a montré, les technologies permettent désormais de réunir tous les jours des conférences sérieuses, posées, organisées, discrètes, efficaces et brèves.
On pourrait par exemple, imaginer une réunion mensuelle virtuelle au plus haut niveau, du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, élargi à l’Inde, au Brésil, au Nigéria, et à quelques autres pays, pour prendre en main progressivement, hors de toute caméra, les enjeux du moment, sans l’obligation de produire un communiqué final. Des réunions du même genre entre ministres de tous les domaines pourraient suivre les affaires communes, et chercher des compromis.
Encore faudrait il que les hommes de pouvoir se souviennent que la réalité de leur rôle n’est pas de se mettre en scène mais de faire.
Image : Le Congrès de Paris, du 25 février au 30 mars 1856, par Édouard-Louis Dubufe, 1856