Parmi tous les savoirs accumulés par les humains depuis des millénaires, il en est que certains oublient et dont ils réapprennent l’importance à leurs dépens, à chaque génération. Parmi ces savoirs, il en est un essentiel : Nul ne peut survivre durablement s’il n’aide pas à construire autour de lui une communauté ayant intérêt à sa survie. Autrement dit : chacun a intérêt à être altruiste. C’est le principe de « l’altruisme rationnel ».
De ce principe, ou théorème, (exprimé de mille façons par diverses doctrines religieuses, philosophiques ou politiques, du Lévitique à Adam Smith, et dont la traduction économique, la plus récente est la globalisation des échanges), découle trois corollaires :
Premièrement : la seule façon de survivre, si on refuse d’aider à la survie de ceux qui nous entourent, est de se faire assez craindre d’eux pour en obtenir ce dont on a besoin sans rien leur donner en échange ; c’est se placer en situation de prédateur solitaire.
Deuxièmement : Se faire craindre de ses voisins exige des moyens sans cesse croissants, sans lesquels le prédateur est fragilisé et finit par être remplacé par un autre.
Troisièmement : Les peuples qu’un prédateur n’assiste plus et qui ne le craignent plus, s’éloignent, se défendent seuls ou trouvent un autre protecteur.
Au total : Un prédateur solitaire échoue toujours. Un altruiste rationnel survit toujours.
On croyait cette leçon connue de tous, depuis des siècles : Et puis non. Par nature, l’ignorance se transmet plus facilement que le savoir. Et chaque génération doit recommencer le périlleux processus d’apprentissage par expérience, puis de transmission de ce qu’elle n’a pas oublié des générations précédentes et du savoir nouveau qu’elle a elle-même accumulé.
On devrait pourtant enseigner ce théorème, et ses trois corollaires, à l’école primaire, avec les milliers d’exemples historiques et personnels qu’on peut aisément répertorier, et à partir desquels on peut proposer aux enfants des travaux pratiques pour en vérifier la validité. Cela éviterait bien des malheurs, qui découlent de cette amnésie.
On va avoir encore la preuve dans les mois qui viennent : En renonçant à appliquer ce théorème, c’est-à-dire en ne cherchant plus le soutien de ses anciens alliés, l’Amérique de Trump se trouve dans la situation de ne plus être protégée que par sa capacité à faire peur. Et le président américain s’en donne les moyens : il brandit des hausses de droits de douane ; il laisse planer le risque d’une dévaluation massive du dollar ; il annonce qu’il va se saisir de territoires ; il menace de ne plus livrer d’armes, ni de ne plus défendre, ceux qui comptaient sur son alliance ; il met le monde autour de lui en situation de racket.
Convaincu que ce comportement est la meilleure façon de retrouver une autonomie financière et industrielle perdue, dans un pays à la fois surpuissant et ruiné, le président américain, va ainsi tenter d’extorquer leurs matières premières, leurs technologies, leurs entreprises et leurs épargnes à tous ses anciens alliés, espérant ainsi acquérir les moyens d’affaiblir un rival nouveau, la Chine, qui menace maintenant de le surclasser technologiquement économiquement, financièrement et même bientôt militairement.
Tout cela plongerait le monde dans une dépression majeure, qui rendrait infinançable les déficits et les systèmes de protection sociale, en particulier en Europe, au moment où il faut lancer en plus de grands programmes de défense et de sauvegarde de l’environnement.
Comme à chaque fois dans l’histoire des individus comme des peuples, ce comportement de prédateur solitaire est voué à l’échec.
Quand ses anciens protégés prendront conscience qu’ils n’ont plus rien à attendre de Washington et quand la peur des représailles ne les paralysera plus, ils refuseront de lui abandonner leurs richesses à vil prix ; ils chercheront à se protéger de ce prédateur en élevant des barrières douanières, monétaires, écologiques, industrielles, réglementaires, dans le but de dissuader le prédateur.
Puis, si celui-ci ne renonce pas à son comportement suicidaire, s’il continue à tout faire pour affaiblir ses anciens alliés, ceux-ci chercheront à se doter les moyens de se protéger militairement par eux-mêmes. C’est ce qu’ont commencé à engager les Européens, qui réfléchissent à construire une industrie militaire puissante et une doctrine commune autonome de défense, en particulier en se plaçant sous le parapluie nucléaire français. C’est ce que feront bientôt aussi les Coréens du Sud, les Japonais et les Taïwanais qui finiront eux aussi, abandonnés par les Américains, par se doter de l’arme nucléaire ; ce sera aussi le cas, un peu plus tard, des Australiens, des puissances du Golfe, et encore d’autres grands pays tels le Nigéria, l’Afrique du Sud et le Brésil.
Leçon de l’histoire : Quand l’Amérique devient un prédateur, la prolifération nucléaire ne peut que s’accélérer.
Ces catastrophes peuvent encore être évitées, si la société américaine, fondamentalement démocratique et rassemblant des talents immenses, comprend que son président la conduit vers l’abîme, et réagit, en mettant fin à sa folle aventure, d’une façon ou d’une autre. Les amis de ce grand pays doivent y aider.
Image : MuseumArtPaintings