En ce moment de crise, chacun sait qu’il n’y aura pas de reprise de la croissance sans un grand plan d’investissement européen. Chacun sait aussi qu’il n’y aura pas de relance de la construction européenne sans une relance des projets communs entre l’Allemagne et la France. C’est en effet de là que sont sortis tous les grands projets européens : l’euro, la défense européenne, la libre circulation des personnes ont commencé par la fixation d’une parité entre le franc et le mark, par la création d’une brigade franco-allemande et par les accords de Schengen.
Depuis le début du premier mandat de Jacques Chirac, plus aucun projet d’importance n’est venu nourrir l’imaginaire et la réalité franco-allemande, et donc européenne. Il est donc urgent d’en imaginer un nouveau. Il peut etre dans le domaine de l’éducation, de la culture, de la santé, de l’environnement ; il devra en tout cas etre structurant et pouvoir s’étendre ensuite aux autres pays membres de l’Union Européenne. A mon avis, comme à celui de quelques autres, le meilleur projet, aujourd’hui, serait d’organiser la fusion entre les deux compagnies ferroviaires : la SNCF et son homologue allemand, la Deutschebahn.
Même si elles se livrent en ce moment une bataille sauvage sur tous les plans, comme l’a montré encore très récemment la recomposition du capital d’Eurostar (où la société publique française vient d’acquérir la majorité), ces deux entreprises sont très complémentaires : la SNCF est meilleure sur les voyageurs ; la Bundesbahn sur le fret ; la SNCF est mieux implantée en Europe de l’Ouest ; la Deutsche Bahn regarde à l’Est et investit dans une ligne transsibérienne. L’une est sans publique ; l’autre est en voie de privatisation. L’une est le lieu de conflits sociaux sourcilleux ; l’autre est plus apaisée socialement. L’une a le TGV et l’Eurostar ; l’autre a l’ICE et l’AGV, qui emportera le double de passagers.
Qu’on ne dise pas qu’une telle fusion est impossible : l’exceptionnel succès d’Eurostar, qui sera même bientôt rentable, est la démonstration que c’est possible.
Elle permettra de maintenir la dimension de services publics des chemins de fer, dans les coins les plus reculés, condition essentielle de l’aménagement du territoire. Elle permettra aussi d’améliorer la circulation des hommes et des marchandises, de réduire la production de gaz à effet de serre, sans pour autant nuire à la concurrence, grâce à l’arrivée prochaine d’autres transporteurs sur les mêmes réseaux ferrés et celle des transports par bus privés ; elle permettra aussi de moderniser le statut des personnels. Elle permettrait enfin de concevoir un statut d’une entreprise publique franco-allemande, (sans suivre le byzantin modèle d’EADS, où tout est fait pour que personne ne décide ) ; avant d’en venir, un jour, le plus tôt serait le mieux, au statut d’une entreprise publique européenne ( qui serait aussi nécessaire pour éviter le retour du protectionnisme, en particulier dans le système financier, menacée par des nationalisations entrainant le repli des banques sur leur seul territoire national) .
Enfin, ce serait, avec plus de 65 ans de retard, la meilleure réponse à l’Histoire, qui avait permis à des trains français, appartenant à la SNCF à peine créée, conduits par des cheminots français, d’emmener des gens de toute la France, de Bordeaux ou de Marseille, jusqu’à Drancy, Beaune la Rolande et Pithiviers, puis à Auschwitz, en Pologne, en traversant l’Allemagne.