Quelques dirigeants, dont ceux de la France, se sont embarqués la fleur au fusil dans un conflit incertain contre le dictateur fou de Lybie, sans répondre à trois questions qui auraient méritées d’être discutées publiquement avec l’opinion, et au moins avec le Parlement, avant que le premier missile ne soit tiré par un avion français :
1. Est-on prêt à mener une éventuelle deuxième phase de la guerre, qui serait terrestre ? On peut certes espérer que le régime s’effondre sous le seul effet d’une sidération par un tapis de bombes. Mais l’expérience montre que ce n’est pas toujours le cas. Dans ce cas, que fait on ? On continue à bombarder, au risque de massacrer une population utilisée comme bouclier humain et de retourner les opinions publiques arabes contre un Occident présenté comme envahisseur, comme le montre la première dérobade de la Ligue Arabe ? On envoie des troupes occuper les villes et mener des combats de rue ? Les deux sont autorisées par la résolution 1973 des Nations Unies, sans qu’aucun des Parlements concernés n’aient été appelé à donner accord.
2. Est-on prêt à s’occuper de la paix ? L’Histoire nous apprend qu’une guerre n’est vraiment gagnée que si la paix est préparée pendant la guerre. Ce ne fut pas le cas pendant la Première Guerre Mondiale. Ce fut à peu prés le cas pendant la seconde. Pas du tout pendant la guerre au Vietnam, ni pendant celles, plus récentes, menées en Afghanistan et en Irak. Avec les conséquences désastreuses que l’on sait. Et là, a-t-on une idée de ce que deviendra la Libye après ? Un Etat unifié ? Une fédération ? Verra-t-on la Cyrénaïque devenir indépendante et ne conservant son indépendance que grâce à la présence de troupes occidentales ? Et même si le dictateur est chassé du pouvoir, les pays libérateurs auront-ils les moyens de reconstruire ce pays ? C’est difficile à croire quand on voit la façon dont ces mêmes pays n’aident qu’à peine l’Egypte et la Tunisie. Ironiquement, d’ailleurs, les trois pays les plus en pointe dans la bataille aérienne contre Kadhafi (la France, la Grande Bretagne et les Etats-Unis) sont économiquement ruinés, avec des taux record de chômage. A supposer même qu’ils aient les moyens de gagner la guerre, ils n’auront jamais les moyens de gagner la paix. Alors que les pays les plus riches (la Russie, la Chine, l’Allemagne, l’Arabie Saoudite), se tiennent sagement planqués. Cela ne peut conduire qu’à un discrédit de plus du dollar et de l’euro, et plus largement de l’occident tout entier et des valeurs qu’il défend, au nom desquels les pays se sont libérés
3. Pourquoi s’attaquer à cet épouvantable dictateur, qui massacre sa population et pas à trois autres, qui en font autant exactement au même moment, a Sanaa, Manama et Abidjan ? Qui d’ailleurs connait les noms de Hamad ben Issa Al-Khalifa, roi de Bahreïn, et de Ali Abdallah Saleh, président du Yémen, tout aussi criminels aujourd’hui que le sont aujourd’hui Kadhafi ou Gbagbo. Pourquoi l’un est il dénoncé par tous les médias et pas les trois autres ? Parce qu’on pense que Kadhafi peut être délogé sans dommage collatéral, ce qui n’est d’ailleurs pas établi.
On ne joue bien aux échecs que si on prévoit plusieurs coups d’avance, ce qui ne semble pas la qualité principale de ceux qui ont déclenché ce conflit.
Décidemment, Clémenceau avait raison de dire que la guerre est une chose trop grave pour être confiée à des militaires. Sans doute ne faut-il pas la laisser non plus à des diplomates.