On peut juger un pays à sa classe politique. Pendant très longtemps, la France a pu s’enorgueillir d’une classe politique de haut niveau ; et les débats au Parlement étaient, en général, d’une haute tenue. Quand cela n’était pas le cas, cela annonçait des désastres démocratiques.
Aujourd’hui, à suivre les débats à la télévision et sur les réseaux sociaux, on entend beaucoup de cris, d’insultes et d’arguments sommaires ; on voit des élus venir en séance ostensiblement mal habillés, prendre des photos, retransmettre en direct les débats sur leurs téléphones, en hurlant leurs commentaires.
Et pourtant, malgré l’image que donnent ces gens-là, la France n’est pas un pays vulgaire, violent, antisémite, ou islamophobe ; elle n’est pas non plus peuplée de gens criant leur haine de la France comme elle est, et des Français comme ils sont ; elle n’est pas faite d’ignares, de voyous vociférants, de parasites professionnels, de drogués, de harceleurs, de détourneurs de fonds publics, d’escrocs, de fichés S, de repris de justice de délinquants en tout genre, plus nombreux que jamais dans la représentation nationale.
Et moins ils sont compétents pour remplir la mission pour laquelle ils ont été élus, plus ils hurlent, insultent et paralysent le débat.
Les Français ne se reconnaissent pas dans ces élus. Ils savent que celui qui parle le plus fort n’a en général que ses cris et ses insultes comme arguments. Ils travaillent, créent, innovent. Ils aiment la vérité, l’effort, le travail, la langue française, les sciences, les métiers rigoureux, la littérature, les arts ; ils aiment bâtir des projets avec d’autres qui ne leur ressemblent pas ; ils savent que leur pays, qu’ils adorent, ne serait pas si grand sans tous ceux qui n’y sont pas nés et ont choisi d’y vivre ; ils veulent unir leurs forces face aux redoutables enjeux de l’avenir ; ils souhaitent aussi que leurs élus trouvent des solutions de compromis, comme eux, les citoyens, le font tous les jours dans leurs vies privées et professionnelles.
Ce décalage entre les débats parlementaires et la réalité du pays crée un malaise très profond. Qui, lorsqu’il a déjà eu lieu, s’est toujours très mal terminé.
Les causes de ce décalage sont nombreuses et cumulatives : de plus en plus, les partis choisissent comme candidats des gens n’ayant comme seul titre de gloire que leur dévotion à leurs chefs, capables de faire du scandale en séance et dans les médias. La compétence, l’expérience et le travail ne comptent plus. Et ceci sera cumulatif : plus la fonction parlementaire sera discréditée, moins d’honnêtes gens, de toutes professions et de tous milieux sociaux, auront envie de se porter candidat. Et la démocratie sombrera.
Cette distinction entre élus sérieux et voyous ne rejoint pas la différence entre classes sociales : on a connu, on connait encore, beaucoup de voyous dans la vie politique venant de milieux aisés. Voire très aisés. Et c’est même en priorité de ces milieux que se recrutent les voyous politiques.
Si on y trouve, comme dans le passé, au Parlement, à gauche comme à droite, beaucoup d’enseignants, exerçant dans le secteur public comme dans le privé, des avocats, des médecins, trop peu, jusqu’à aujourd’hui, étaient ou sont ouvriers, paysans, employés, ou même d’enfants de ces classes populaires. Ceux qui en viennent sont d’ailleurs, en général, les plus sérieux, les plus attentifs, les plus respectueux des institutions.
Quelques-uns, très rares, parmi les plus grands dirigeants, en France comme ailleurs, venaient ou viennent de milieux très populaires. Certains ont été adulés, comme Jean Jaurès, dont la famille paternelle était d’origine paysanne modeste. D’autres, d’origine ouvrière, ont été poussés au suicide par des calomnies, comme Roger Salengro et Pierre Bérégovoy. Ce n’est pas différent ailleurs : en Grande-Bretagne, la vie politique est réservée à l’élite de la bourgeoisie et de la noblesse, à de rares exceptions près, comme James Callaghan et d’une certaine façon John Major. En Allemagne, presque personne non plus, sinon Willy Brandt, né de père inconnu, dont la mère était vendeuse et qui commença sa vie extraordinaire comme apprenti chez un courtier maritime. Aux États-Unis, très peu de présidents ont été d’origine populaire, jusque très récemment, sinon Abraham Lincoln, Andrew Johnson, puis Dwight Eisenhower, Harry Truman, Bill Clinton et Barack Obama.
Depuis les temps les plus anciens, dans le monde indien, chinois, hébreu et grec, cette question s’est posée : faut-il laisser tous les habitants d’un pays avoir un droit égal à représenter le peuple ? Quelle que soit sa classe sociale, certainement. Quels que soient son comportement et ses compétences, sûrement pas.
Bustes en terres crues, par Honoré Daumier