Un nouveau discours idéologique et géostratégique est en train d’apparaitre dans les milieux dirigeants politiques, économiques et militaires américains. Confrontés à la montée de la puissance chinoise, qui sera bientôt, inéluctablement, la première puissance économique du monde, en termes de production, l’on commence à entendre un nouveau discours à Washington: La première puissance du monde, pour au moins les deux décennies à venir, ne sera pas la Chine, mais l’ensemble formé par les Etats-Unis, le Canada, et le Mexique.
Cet ensemble, disent-ils, doit être considéré comme un pays unique : l’intégration économique, commencée avec l’instauration de l’ALENA, est aujourd’hui très avancée. Les trois pays ont la même idéologie, les mêmes intérêts en matière de défense, et coopèrent étroitement sur tous les plans, économiques culturels et militaires. Le Mexique est devenu un pays moderne, où l’état de droit est respecté, comme dans les deux autres pays. Mexique et Canada s’américanisent à grande vitesse et l’intégration économique et culturelle est considérable
Ce scénario n’est pas invraisemblable. Cet ensemble est en effet la première puissance du monde et le sera longtemps : une population totale actuelle de 470 millions d’habitants, qui sera de 540 millions en 2030. Un PIB total de 19.000 milliards de dollars, qui sera d’au moins 25.000 milliards dès 2018. Dans les deux cas, bien supérieur à celui de la Chine.
Les Etats-Unis, qui se voient naturellement en leader de cette coalition, retarderaient ainsi, comme l’Empire romain, le moment de son déclin. Toute la stratégie américaine va donc se concentrer sur la réussite de cette intégration économique, pour la compléter par une intégration politique, en employant pour cela les grands moyens. Et cette intégration pourrait être plus facile à réussir que celle que tentent les membres de l’Union Européenne : Les Américains ne sont que trois, avec une puissance dominante, qui peut tenter de dicter sa loi.
Cela aurait des conséquences géostratégiques considérables. Une domination de l’Amérique du Nord sur l’Amérique du Sud, et sur l’Europe, qui ne mesure pas, par exemple, les conséquences d’une telle union sur la négociation commerciale qui commence avec les seuls Etats-Unis.
Pour autant, bien des obstacles s’y opposent : D’abord parce que les différences de niveaux de vie entre les Etats-Unis et le Mexique sont gigantesques : Le PIB du Mexique est inférieur à celui du Canada, pour une population 4 fois supérieure. Les dynamiques démographiques sont aussi très différentes : l’âge médian est de 38 ans aux Etats-Unis et au Canada, et de 26 au Mexique, et il sera en 2030, de 40 ans aux USA et de 33 ans au Mexique. De plus, une grande partie de l’intégration économique de ces pays est criminelle : les deux tiers de la marijuana consommée aux Etats-Unis seraient importés du Mexique. 95% de la cocaïne entrant sur le territoire des Etats-Unis viendrait du Mexique. Au total, la consommation de drogue aux Etats-Unis rapporterait 30 milliards de dollars par an aux cartels mexicains, qui alimentent une véritable économie parallèle représentant plus de 3% du PIB mexicain. Avec des conséquences meurtrières extrêmes : les violences auraient fait près de 100.000 morts et disparus au cours des 6 dernières années. Ceci sera sans doute un prétexte pour mettre en commun des moyens militaires considérables.
De plus, Mexicains et Canadiens sont très soucieux de leur indépendance, depuis leur création, et n’ont aucune raison d’accepter de la remettre en cause. Ni les Francophones, ni les hispanophones n’accepteront la domination des anglophones. Ils sont loin d’accepter la dollarisation de leurs économies.
A moins que, par un retournement de l’histoire, les Etats-Unis ne deviennent Mexicains : En 2050, les Etats-Unis devraient être le premier pays de langue espagnole au monde ; la population hispanique y représentera alors 30% de la population (132 millions de personnes, contre 52 millions (17% de la population) aujourd’hui) et elle représentera alors les deux-tiers de la population de l’ALENA. Cette alliance pourrait donc, être, à terme, pour les Etats-Unis d’aujourd’hui, un marché de dupes. Comme ce fut le cas pour bien des empires avant eux.
Nous avons donc aujourd’hui une course entre deux ensembles tentant de s’intégrer politiquement. A nous de faire au plus vite. Et de ne pas abandonner les communautés francophones d’Amérique, plus importantes que jamais.