Que se passe-t-il quand tout avance autour de soi et qu’on s’efforce de rester immobile ? On finit par être arraché, désarticulé, emporté par le courant, éparpillé en lambeaux flottants.
C’est ce qui menace aujourd’hui la France : autour de nous, le monde change de plus en plus vite. Des jeunesses se libèrent de la peur. Des continents avancent à grands pas vers des richesses inattendues. Et nous sommes de plus en plus immobiles. De plus en plus enfoncés dans nos certitudes. De plus en plus convaincus que le monde a les yeux tournés autour de nous, modèle idéal de leur avenir. De plus en plus centrés sur nos minuscules disputes et nos dérisoires scandales. De plus en plus convaincus que le meilleur de notre histoire est derrière nous et que nous n’avons rien de mieux à faire que de conserver ce mode de vie.
En conséquence, nous interprétons tout à l’aulne de notre nombril : nous pensons les révolutions méditerranéennes comme la volonté de ces peuples de nous imiter, alors qu’elles indiquent, tout au contraire, qu’ils commencent une marche vers un monde en mouvement, dont nous nous excluons par notre immobilisme. De même, nous faisons de notre modèle de gouvernement l’idéal auquel tous les autres doivent aspirer et nous interprétons la crise de l’Europe comme la traduction de la volonté des autres pays européens d’atteindre notre niveau de vie et de leur incapacité à répliquer nos institutions. Plus généralement, nous interprétons tous les mouvements du monde comme la volonté des autres de nous copier. Alors que rien n’est plus éloigné de l’esprit d’un habitant des pays émergents, d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique Latine, que le confort rassis et auto-satisfait dans lequel se complaisent les dirigeants européens, et français en particulier.
Bien d’autres grandes puissances avant nous sont mortes d’un même aveuglement et pour avoir oublié que l’apologie du statu quo est le début de la fin.
On aurait pu attendre du dernier remaniement ministériel, comme des précédents, qu’il soit l’occasion d’inscrire la France dans ce mouvement. Mais non ; voilà qu’on garde les mêmes, ou de plus chevronnés encore, pour gérer à l’ancienne des problèmes d’une ampleur inédite ; et qu’on nous explique que le seul risque que nous courrons est celui d’être envahis par des peuples ignorants et envieux. Cela ne nous mènera nulle part. Sinon à des tensions croissantes entre le monde et nous.
Et notre modèle social, qui privilégie les fortunes héritées au détriment des richesses créées, aggravera brutalement la situation des plus pauvres. Plus précisément, nous sommes à la veille d’un arrachement politique, historique, économique et social.
Nous devons comprendre d’urgence que le monde va changer de plus en plus vite ; que nous ne sommes pas les détenteurs éternels d’une rente, qui nous aurait été accordée pour nos mérites ou par les vertus du Saint Esprit ; que notre capacité de mouvement est beaucoup plus importante que nos racines ; que nous ne sommes pas destinés à rester éternellement une grande puissance, ni à attirer longtemps les élites du monde.
Il est urgent de regarder l’horizon et non pas l’arbre sur la rive auquel nous pouvons, pour un bref instant encore, nous attacher.