Rien n’interdit, pendant les vacances, de dire beaucoup de bêtises et, parfois, elles ont moins de retombées qu’en hiver. C’est ce que l’on peut espérer pour Martine Aubry, qui, entre autres reproches, a fait savoir à Manuel Valls que, s’il ne retirait pas sa demande de réflexion sur un changement de nom du Parti socialiste, il devrait le quitter.
On peut s’étonner de voir des dirigeants de l’opposition, qui ne devraient penser qu’à trouver à la crise actuelle de meilleures réponses que celles du pouvoir, se lancer au visage de si ridicules anathèmes. On peut se révolter de voir les héritiers de François Mitterrand se suicider politiquement alors qu’ils sont électoralement majoritaires. Et, pourtant, cette discussion n’est pas sans importance. Elle pose même deux questions essentielles.
D’abord, celle de la validité même du concept de socialisme : dans un monde où tant de barbaries ont été, et sont encore, commises en son nom, il a été troqué dans beaucoup de pays contre celui de social-démocratie. Il conserve pourtant toute sa force utopique, à condition de ne pas le réduire à un positivisme scientiste béat et d’en revenir à son sens premier, qui est de faire passer, dans certains domaines, l’intérêt général avant les intérêts particuliers.
La question est donc de tracer la frontière entre ce qui doit aujourd’hui rester privé et ce qui doit être socialisé (c’est-à-dire ce qui doit être un service public). Or, la crise actuelle nous apprend que bien des choses qu’on croyait devoir garder privées influent trop sur le bien-être collectif pour ne pas être, d’une manière ou d’une autre, socialisées: c’est le cas de la finance ; c’est aussi le cas de la nature, puisque les générations futures font partie de la société dont il s’agit de protéger les intérêts, et l’écologie est désormais l’une des dimensions essentielles d’une socialisation nécessaire de certains enjeux du monde.
Par ailleurs, socialiser un domaine suppose d’en préciser le cadre géographique : dans bien des cas, comme l’avait vu Marx, il est aujourd’hui nécessairement mondial, ou au moins continental.
L’autre question est celle de la pertinence de « socialiste » dans le nom du principal parti d’opposition en France, où le président de la République, supposé de droite, s’ingénie à tenir, sur bien des sujets, un discours que ne récuserait aucun idéologue de la gauche la plus exigeante.
De fait, et quelle que soit l’appellation qu’ils adoptent, si les socialistes français continuent de ne pas débattre de la frontière entre le privé et le public, le marché et la démocratie, le payant et le gratuit, s’ils s’ingénient à ne pas mettre très clairement la socialisation de la nature et de la finance au premier rang de leur programme, s’ils continuent à ne pas définir les niveaux où doit se situer la socialisation (le monde, l’Europe, la nation, la collectivité locale), ils ne feront qu’accompagner de leurs dérisoires querelles la lente évolution d’aujourd’hui vers une société qui privatise de plus en plus les profits, socialise de plus en plus les dettes et force de plus en plus les pauvres à payer les biens essentiels: aujourd’hui la musique, demain la santé, l’éducation et le reste.
S’ils continuent ainsi, dans trois ans, dix candidats de gauche seront battus par le seul candidat qui aura été, au moins dans son discours, ouvertement socialiste, et qui sera triomphalement réélu.