Quand quelqu’un frappe à votre porte pour demander de l’aide, la vérité s’impose : on ouvre ou on n’ouvre pas. De fait, la confrontation aux exigences de l’hospitalité renvoie à l’essentiel de notre caractère. Certains, qu’on croyait aimables, se révèlent égoïstes; d’autres, qu’on croyait sans cœur, se révèlent altruistes.
Les réfugiés frappent, aujourd’hui, à bien des portes. Certains pays, comme le Liban, la Jordanie ou la Tunisie, les reçoivent du mieux qu’ils peuvent, malgré la faiblesse de leurs moyens. D’autres, tels l’Allemagne, la France ou la Grande-Bretagne, d’abord fermés, finissent par s’entrouvrir. D’autres encore, avec des discours plus ou moins cyniques, restent totalement clos. Le pire de tous, en Europe est la Hongrie, qui ajoute à l’abjection du comportement la brutalité du vocabulaire.
Pays frontalier de l’Union, la Hongrie doit, en vertu de la convention de Dublin, accorder ou refuser l’entrée, au nom de toute l’Union à ceux qui se présentent à ses frontières. Et comme l’Union n’a pas su harmoniser les conceptions du droit d’asile de ses membres, chaque pays peut librement appliquer sa doctrine. La Hongrie le fait d’une façon qui déshonore l’Union. L’actuel Premier ministre, Viktor Orban, revenu au pouvoir en 2010, considère qu’il n’a pas à accorder l’asile à un musulman. Pour lui, « la démocratie, en Europe, repose sur la chrétienté », et l’afflux des réfugiés en Europe constitue une « menace pour l’identité chrétienne de l’Europe ».
Dépassé sur leur droite par un parti plus extrême encore, soucieux de détourner l’attention des électeurs des scandales qui les éclaboussent, le Premier ministre et son parti, le Fidesz (Union civique hongroise), traitent les réfugiés venus du Moyen-Orient avec la plus parfaite inhumanité. Un mur de barbelés de 175 km a été construit à la frontière serbe, tandis qu’une loi, votée le 4 septembre, criminalise les entrées illégales sur le territoire et augmente les pouvoirs de l’armée, traitant les étrangers comme des ennemis.
En se conduisant ainsi, le chef du gouvernement hongrois oublie d’abord que lui-même, comme la quasi-totalité des Hongrois, descend d’envahisseurs, les Magyars, tribus finno-ougriennes venues d’Asie Centrale. Il oublie aussi que le reste du monde a accueilli, en 1956, des centaines de milliers de Hongrois fuyant la dictature. Il oublie enfin que la démocratie est un concept laïc et qu’on ne saurait en exclure les fidèles d’une religion. A cela s’ajoutent d’autres manquements graves aux valeurs fondamentales, dénoncés par la Cour Européenne des droits de l’Homme, tels que la révocation du Président de la Cour suprême, qui avait critiqué la politique judiciaire du gouvernement, ou les conditions épouvantables de détention dans les prisons hongroises.
Au total, il est scandaleux de ne pas condamner ce pays, qui fait honte à toute l’Europe dans le monde entier. Et l’on ne peut se contenter de la timide remarque du président du Conseil européen, le polonais Donald Tusk : « Pour moi, être chrétien en politique signifie avoir un devoir envers ses frères dans le besoin ».
Pendant des mois, il a été question de savoir si l’on gardait la Grèce dans l’Union, pour des fautes bien moins graves que celles de la Hongrie: au lieu de parler de « Grexit », il faut parler de « Hongrexit ». On peut réfléchir à l’activation de l’article 7 du traité de l’UE, qui permet de suspendre un Etat de ses droits de vote, ou de le priver de toutes les subventions et de tous les prêts communautaires, en cas de «violation grave» des valeurs européennes. Mais la sanction est impossible tant que le Parti Populaire Européen, dont est membre celui de Viktor Orban, s’y oppose.
Si l’Europe veut donner au monde une image digne d’elle, il faut d’abord que tous les démocrates, de tous les pays membres de l’Union, exigent des partis affiliés au PPE qu’ils se désolidarisent du Fidesz. En France, c’est une question à poser aux Républicains : pourquoi ne condamnent-ils pas Viktor Orban et son parti ? Pour eux aussi, grâce aux réfugiés, la vérité, leur vérité, éclate au grand jour.