La prochaine administration américaine aura un impact considérable sur l’économie mondiale ; et chacun s’emploie à analyser les différences entre les programmes républicains et démocrates, et leurs conséquences planétaires.

En fait, l’impact à attendre de ces élections n’est pas vraiment celui qu’on croit : si on peut s’attendre à des différences majeures en matière d’immigration et de politique étrangère, l’impact économique, financier et environnemental des programmes de Trump et de Harris, apparemment si différents, sont en réalité très proches.

D’abord, s’ils appliquaient leur programme, les uns et les autres auraient un impact globalement négatif sur la croissance américaine et donc mondiale. Les Démocrates, parce qu’ils augmenteraient sensiblement les impôts des entreprises ; les Républicains, parce qu’ils imposeraient des barrières tarifaires considérables, qui ne seront pas sans entraîner des représailles. Les uns et les autres seront aussi inflationnistes : les Républicains, en raison de l’expulsion de travailleurs illégaux sous-payés et des répercutions des tarifs douaniers sur les prix des produits importés ; les Démocrates, en raison de l’accroissement des dépenses publiques et du pouvoir d’achat des classes populaires. On peut donc s’attendre, dans les deux cas, à une croissance économique plus lente, et à une inflation plus élevée.

Plus encore, qui que ce soit qui dirige l’Amérique pendant les quatre années à venir, il ou elle devra affronter un dilemme bien plus profond : les Américains peuvent-ils continuer de vivre, plus encore que les autres humains, au détriment des générations futures ?

D’abord climatiquement : les Etats-Unis sont, et resteront, avec la Chine, les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre de la planète. Et les programmes des deux partis ne sont pas de nature à changer la nature des choses. Même les Démocrates, qui feraient plus d’efforts que les Républicains pour soutenir l’économie verte, viennent de se résigner à ne pas interdire l’exploitation des schistes bitumineux. De plus, aucun des deux partis ne propose d’engager une lutte radicale contre l’artificialisation des sols, qui aggrave très sensiblement les conséquences des tempêtes et des inondations sur les villes. Des villes seront balayées par des tempêtes de plus en plus meurtrières. D’autres seront noyées sous les flots. Il faudra solder cette dette climatique, d’une façon ou d’une autre, ce qui reviendra à appauvrir durablement les vivants d’aujourd’hui pour laisser une chance aux générations futures.

Puis, financièrement : la dette publique américaine atteint, en proportion du PIB, un niveau jamais atteint dans l’Histoire du pays, plus même qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Si, dans les années 1950, cet endettement avait pu être éliminé par une formidable croissance, il est inimaginable que les Etats-Unis puissent atteindre de nouveau, dans la durée, le taux de croissance nécessaire. Ils ne pourront donc que continuer à s’endetter, en obtenant à chaque fois du Congrès la levée du plafond de la dette, (comme ils vont devoir le faire dès janvier 2025, avant même l’inauguration du prochain président). Il faudra solder cette dette financière d’une façon ou d’une autre, (par l’inflation ou la guerre, ou l’impôt) ce qui reviendra à appauvrir durablement les vivants d’aujourd’hui, pour laisser une chance aux générations futures.

Telle est la vraie tragédie de cette campagne électorale. Personne n’a dit aux Américains que le vrai choix était, pour eux, entre le gaspillage aujourd’hui qui détruira bientôt le pays et une transition rapide vers l’économie de la vie, qui pourrait sauver les générations futures. Personne ne leur a dit non plus que, quel que soit le prochain président, il faudra rembourser des dettes chaque jour plus lourdes.

Ce dilemme n’est pas qu’américain : les Européens et le reste du monde sont confrontés aux mêmes enjeux et ne sont pas plus lucides. Les premiers qui le deviendront, et paieront leurs dettes, inventeront pour y parvenir un nouveau modèle de développement, qui en fera les maîtres de la prochaine civilisation.

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