Quelle mouche a donc piqué le secrétaire général de l’ONU, en fin de mandat, M. Ban Ki Moon, lors de son voyage dans un camp de réfugiés près de Tindouf (sud-ouest de l’Algérie) et à Bir Lahlou, où sont postés des observateurs militaires de la mission des Nations Unies, à l’est d’un mur de défense érigé par l’armée marocaine, pour qu’il parle d’ « occupation » à propos du statut du Sahara espagnol, aujourd’hui marocain et revendiqué depuis 41 ans par un mouvement indépendantiste, le Polisario, soutenu par l’Algérie ?
Cette expression ne faisait pas partie jusqu’à présent du langage soigneusement répertorié qu’utilisent les diplomates onusiens pour parler de cette zone.
Sans doute peut-on s’attendre à ce que l’animosité entre l’Algérie et le Maroc y trouve des raisons de s’accroître. Déjà, des manifestations monstres ont eu lieu au Maroc pour protester contre ce dérapage.
Et pourtant, il n’a jamais été plus important, pour eux comme pour nous, que les pays du Maghreb s’entendent bien.
D’abord, parce que des millions de migrants, venus d’Erythrée, du Soudan ou d’Ethiopie, se pressent désormais en Libye et en Tunisie pour passer en Italie. Et qu’il viendra bientôt à l’idée de beaucoup d’entre eux d’emprunter une route moins maritime, à travers le Maghreb et le détroit de Gibraltar.
Ensuite, parce qu’à ces migrants-là s’ajouteront bientôt ceux qui souffrent de misère dans les pays du Sahel et qui pourront bientôt, peuvent déjà, arguer de la montée du terrorisme dans leurs pays pour revendiquer en Europe le statut de réfugiés.
Enfin, parce que, si le cours du pétrole reste aussi bas durablement, l’économie algérienne s’effondrera et que des habitants de l’Algérie elle-même pourraient décider de traverser le Maroc pour rejoindre l’Espagne.
Quelle serait notre réaction ? Barricader Tanger ? Fermer le détroit de Gibraltar ? Demander aux Espagnols de surveiller leur frontière avec la France comme nous surveillons celle avec la Grande Bretagne ? Verra-t-on un nouveau Calais à Cadaqués ? A moins que ces gens, hommes, femmes et enfants, n’empruntent des bateaux de fortune pour traverser la Méditerranée et se présenter à Barcelone, Gènes ou Marseille.
Cela n’est évidemment pas notre intérêt. Cela n’est pas non plus celui des pays du Maghreb.
S’ils s’unissaient, économiquement et militairement, s’ils formaient le marché commun du Maghreb attendu depuis si longtemps, ils pourraient constituer rapidement une véritable puissance de taille mondiale. Aujourd’hui, la population de cet ensemble est de plus de 90 millions d’habitants ; en 2050, elle dépassera 150 millions. Leur potentiel de développement est considérable. Cela peut être une formidable zone de développement du tourisme et des services, en particulier francophones. Leur situation géographique, entre l’Europe, au niveau de vie unique au monde, et l’Afrique subsaharienne, qui comptera bientôt 1,5 milliard d’habitants, en pleine croissance, peut en faire une région d’exception, créatrice de richesses et d’emploi.
Encore faudrait-il que les dirigeants de ces quatre pays se parlent et qu’ils laissent leurs citoyens communiquer, échanger. Aujourd’hui, on en est loin. Et ils gâchent même ce qui ne demande qu’à fonctionner : par exemple, l’autoroute qui relie en théorie Nouakchott à Tunis est pratiquement terminée, sauf dans sa partie tunisienne. Elle dessert 55 villes, 22 aéroports internationaux, les principaux ports, et rejoint même les portes de l’Europe, à Tanger.
Juste un petit détail : la frontière entre l’Algérie et le Maroc est fermée. Et ce ne sont pas les déclarations récentes du Secrétaire Général des Nations Unies qui vont arranger les choses.