Pour avoir, depuis longtemps, évoqué le déclin relatif de la puissance américaine, il est fascinant d’observer son accélération récente.
Certes, on peut se laisser aveugler par les statistiques triomphantes de l’économie américaine, ces derniers mois ; il n’empêche: le chômage réel y est le double de ce que disent les agences officielles, de l’aveu même de la présidente de la Fed ; le système économique y est très largement dopé par la masse de monnaie qu’y déverse la banque centrale et par les spéculations insensées du » shadow banking’ qui réinvente chaque jour d’avantage les folies des subprimes ; et la concentration des richesses y est telle que la démocratie n’est presque plus qu’une mascarade .
La réalité diplomatique est, elle, des plus claires: depuis que, le 28 Aout 2013, le président Obama a, à l’ultime seconde, refusé de déclencher des représailles contre le président syrien qui venait de faire usage d’armes chimiques contre son propre peuple, personne dans le monde ne prend plus au sérieux l’engagement américain. Sur aucun front. Et les frappes efficaces de drones américains au Yémen et au Pakistan en fournissent une preuve supplémentaire: pas d’engagement humain.
Ainsi s’expliquent bien des choses: la baisse du prix du pétrole, décidée , sans peur, par l’Arabie Saoudite contre la volonté et les intérêts américains ; le refus du président égyptien d’acheter des avions américains, pourtant leur fournisseur attitré depuis 50 ans ; le compromis accepté à Minsk, contre son gré, par le président ukrainien, quand il a compris qu’il ne pouvait pas compter sur un réel soutien militaire américain, malgré les moulinets irresponsables de responsables (américains) des organes de commandement militaire de l’OTAN en Europe. Enfin, comme un symbole aveuglant de ce désengagement, l’absence du président américain et de tout autre haut représentant de ce pays, à la marche du dimanche 11 Janvier 2015 à Paris après les attentats.
Si cela continue, le monde comprendra que la puissance américaine s’assoupit. On verra alors le dollar baisser, la Chine prendre le contrôle de la mer de Chine, la Corée du nord avancer ses pions et le Japon chercher à s’armer.
Il est possible que le prochain président, qu’il soit un Bush, une Clinton (qui ne peut gagner qu’en se distanciant d’Obama), ou tout autre, tente de redonner un rôle de superpuissance à l’Amérique. Cela ne sera pas la première fois. Mais cela ne sera sans doute qu’un dernier sursaut, car c’est trop tard : le budget militaire chinois, comme son PIB, dépassera bientôt largement leurs équivalents américains. Et le peuple américain, à la différence des peuples français, russe, chinois, et bien d’autres, n’est plus prêt à risquer la vie de ses soldats sur un théâtre d’opération.
La perspective est alors claire : l’empire américain s’effacera. Il ne sera pas, comme l’a été l’Empire Britannique, remplacé dans la conduite des affaires du monde, par un empire rival, mais plus certainement, comme le fut l’empire romain, par un chaos multipolaire dans lequel une partie des voisins voudront reprendre à leur compte le mode de vie américain, et une autre voudra le combattre, pour des raisons religieuses, en s’organisant en théocraties. Et même si un autre empire parvenait, à la fin, à remplacer l’américain au sommet du monde, il ne serait pas, pour la première fois dans l’histoire humaine, occidental.
L’Occident est donc, pour la première fois, sans défense. Et rien n’est plus dangereux, en particulier pour nous, Européens, que de voir nos ennemis cesser d’avoir peur de nous. Il est temps de réaliser que personne d’autre que nous ne défendra nos valeurs, notre mode de vie et nos libertés. Aussi, sans attendre qu’un prochain président américain comprenne peut-être l’importance d’être fort, et accepte de partager la direction des affaires du monde avec l’Europe, il nous appartient, à nous Européens, d’apprendre à vivre, et à nous défendre, sans l’Amérique.