La canicule que connait aujourd’hui l’Europe n’a pas que des conséquences sur la vie quotidienne des vacanciers.  Elle est aussi un rappel  dérèglement climatique qui nous menace et nous renvoie  à l’influence des climats sur nos civilisations, dont Aristote, Montesquieu,  puis Emmanuel Leroy-Ladurie, avec d’autres, ont élaboré  la théorie.

Très récemment, un article  scientifique  ( « Quantifying the Influence of Climate on Human Conflict » , Solomon M. Hsiang, Marshall Burke, Edward Miguel, in Sciencexpress du 1er août 2013) que m’a signalé Eric Chaney,  confirme les conséquences des changements climatiques : à partir de l’analyse de 60 études réalisées par 190 chercheurs de différentes disciplines et de différents pays sur des  conflits  de différentes ampleurs (violences interindividuelles, guerres civiles ou internationales)  dans différentes régions et à différentes dates (de 10 000 av. J.-C. à aujourd’hui), ils démontrent que le risque de conflits augmente lorsque la température ou les précipitations s’écartent de leurs niveaux habituels . Et que  les  guerres et les violences interpersonnelles,  aujourd’hui responsables d’un demi à un million de morts chaque année,  s’intensifieront considérablement à l’avenir, sous l’effet de nouveaux dérèglements climatiques.

D’abord, les violences   domestiques  augmentent  partout lorsque la température observée est plus élevée,  et augmentent aussi dans les milieux paysans  les plus pauvres, pendant les épisodes de précipitations extrêmes, qui réduisent les revenus agricoles.

Ensuite,   les conflits  entre groupes augmentent avec  les perturbations climatiques  en particulier dans les milieux à faibles revenus. Les   guerres civiles coïncident aussi avec des températures très faibles ou très élevées, ou une sécheresse. Un stress climatique élevé peut fragiliser les institutions et déboucher sur des bouleversements importants (destitution des dirigeants par la force, nouveaux modes d’occupation du territoire, voire effondrement de communautés, d’empires ou de civilisations). Les exemples en sont innombrables : En Europe, les grandes périodes d’instabilité ont coïncidé avec des épisodes anormalement froids ; en  Inde, les  émeutes opposant hindous et musulmans ont augmenté avec les précipitations extrêmes ; en Chine,  la chute de la dynastie Tang (comme celle de la civilisation maya au Mexique) s’est produite au tournant du Xème siècle, alors que les précipitations étaient altérées par l’Océan Pacifique ;   enfin,  la chute de la dynastie Yuan, en 1368, est intervenue en même temps que celle d’Angkor, qui connaissait les mêmes  dérèglements climatiques.

Cela s’explique : les modifications des conditions climatiques  peuvent entrainer  une altération des capacités de cognition ou d’attribution, ou d’autres phénomènes physiologiques ; la perturbation des activités économiques,    de moindres recettes fiscales ; une perte de légitimité des institutions officielles ;   une augmentation des prix des produits alimentaires ou  des mouvements de population.

Mais il y a bien plus encore : à partir de ces   études, leurs auteurs   montrent  que,   chaque modification d’une unité de l’écart-type du climat, (mesure de la dispersion d’une variable autour de sa moyenne) vers des températures plus élevées ou plus de  pluie, entraine une augmentation de 4 % de la fréquence de la criminalité et de 14% de  la fréquence des  conflits entre groupes.

Or, d’ici à 2050, dans la plupart des régions habitées de la planète, l’augmentation de la dispersion des conditions climatiques   devrait être supérieur à 2 unités d’écart type  par rapport à l’écart-type historique, (mesuré par la dispersion moyenne des  températures entre 1950 et 2008). Il devrait même  dépasser 4  dans les régions tropicales.

On peut donc s’attendre à de très considérables augmentations de la criminalité et des guerres, civiles ou entre pays, en particulier  en Afrique subtropicale, en Inde, au Sud de la Chine, en Indonésie, au Mexique et au Brésil.

Pas besoin d’être grand clerc pour en  mesurer les immenses conséquences. Saura-t-on enfin prendre au sérieux tous ces signes convergents des menaces à venir ?

j@attali.com