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On me reproche parfois de mettre en avant les scenarii du pire. Les événements les plus récents, en France comme partout ailleurs dans le monde, auraient pourtant dû convaincre les plus optimistes que le pire n’est pas impossible, et que la meilleure façon de l’éviter est de s’y préparer.
Ainsi n’est-il pas trop tard pour se préparer à une hypothèse chaque jour d’avantage vraisemblable : le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, après l’élection prochaine, le mardi 5 novembre 2024.
Pour comprendre l’importance d’un tel événement, il suffit d’imaginer ce que serait la situation mondiale d’aujourd’hui, s’il avait été réélu en novembre 2020 : les Etats-Unis n’auraient certainement pas infligé de sanctions à la Russie ; ils n’apporteraient aucun soutien militaire à l’Ukraine ; la Grande Bretagne, toujours suiveuse de son maitre américain, n’aurait sans doute pas fait mieux ; l’Allemagne aurait été ravie de sauver son approvisionnement en gaz et en pétrole russe et aurait fermé les yeux. Et on aurait trouvé bien des voix en France pour rappeler que le conflit en Ukraine n’est pas notre guerre, et que l’alliance russe est une base fondamentale de la géopolitique française. Ce conflit ce serait donc depuis longtemps déjà terminé par l’effondrement de l’armée et de l’économie ukrainienne, quels que soient le courage et la compétence des Ukrainiens. Dans bien d’autres domaines, la présence de Trump à la Maison Blanche aurait tout changé : il aurait continué de marquer son hostilité à tout ce qui peut être fait pour renforcer le projet européen ; la nouvelle doctrine de la Cour Suprême sur l’avortement serait depuis longtemps entrée en application. Ce n’est que sur la volonté farouche de contrer sur tous les terrains la puissance chinoise qu’il y a un accord entre les deux grands partis se disputant le pouvoir à Washington.
L’hypothèse d’un retour de Trump dans le bureau ovale est aujourd’hui plus que vraisemblable : le président Biden est profondément impopulaire. Les démocrates vont perdre les élections intermédiaires de novembre prochain. Le parti républicain est totalement entre les mains de Donald Trump. Il choisit déjà les candidats républicains aux divers postes de gouverneurs ou de sénateurs et il confie volontiers à ses plus récents visiteurs privés qu’il sera candidat en 2024.
Il ne faut pas s’y tromper : un Trump président en 2025 serait très différent de qu’il a été la première fois : il aurait tout pouvoir sur les deux chambres de l’exécutif, sur la Cour Suprême et sur l’essentiel des médias ; et rien ne dit qu’il acceptera alors que ce deuxième mandat soit le dernier. On peut dire sans excès que les Etats-Unis auront cessé d’être une démocratie. Et même ceux qui aujourd’hui louent son bilan dans tel ou tel secteur ne pourront plus le soutenir sans rompre avec les valeurs les plus fondamentales de la démocratie.
Bien sûr, rien n’est joué, et il peut se produire bien des choses d’ici là : un candidat démocrate lumineux peut apparaitre, capable de réconcilier les deux Amériques d’aujourd’hui, profondément divisées, au bord de la guerre civile, même, comme le montre les fusillades, pour des motifs raciaux, qui se multiplient. Et même, qui sait, un autre candidat républicain, qui saurait montrer à l’Amérique profonde qu’un tel enfermement populiste est suicidaire.
Bien sûr, nous Européens, nous ne pouvons pas intervenir dans une telle élection ; mais nous pouvons, nous devons, nous préparer à une telle éventualité. Ne serait-ce que parce que sa probabilité devrait pousser certains, en particulier au Kremlin, à faire durer le conflit actuel assez longtemps pour que Trump retire tout soutien au président Zelenski. Et parce que nous ne sommes absolument pas préparés à vivre dans un monde où les Etats-Unis seraient, deviendraient, un pays totalitaire, menacé de guerre civile, et refusant toute solidarité avec les autres continents, et en particulier avec l’Europe. Un pays qui pourrait même mettre à exécution la menace maintes fois formulée par Trump de quitter l’OTAN.
Nous devrions alors nous débrouiller seuls face à toute menace extérieure. Et nous n’en avons absolument pas les moyens.
Si nous attendons d’être devant le fait accompli, si là comme ailleurs, nous faisons un déni de réalité, il sera bientôt trop tard pour agir. La parenthèse Biden peut nous faire croire encore un moment que nous ne serons jamais seuls et que les Etats-Unis seront toujours là pour défendre la démocratie en Europe. C’est une illusion ; et il serait criminel, pour l’avenir de la prospérité et de la démocratie en Europe, de les faire dépendre des élections dans un autre pays, aussi amical soit-il, pour le moment…
j@attali.com