Pendant qu’en Europe,  nous nous disputons sur des sujets souvent dérisoires, en Afrique,  loin des caméras et des diplomates, s’éternise  un des  conflits les plus meurtriers depuis la deuxième guerre mondiale : la guerre civile, qui, dans la République Démocratique du Congo, et en particulier au Nord-Kivu,  a déjà fait près de  8 millions de morts depuis 1998.

Là se joue le sort de l’Afrique  et par ricochet, celui de l’Europe.  Si ce  conflit s’éternise encore, comme cela est vraisemblable,  c’est toute l’Afrique qui sera durablement plongée dans  le chaos. S’il  cesse,  le plus grand pays francophone du monde peut,  avec son voisin nigérian,  entrainer tout le continent  dans un cercle vertueux.

Dans ce pays de 75 millions d’habitants,  grand comme 4 fois la France, disposant de  toutes les matières premières, dont 30% des réserves mondiales de diamants et,  dans sa province du  Kivu, de 70% des réserves mondiales de coltan,( élément du tantale,  métal essentiel pour    la fabrication des téléphones portables  et des condensateurs utilisés dans tous les   réacteurs, de missiles, de satellites ),  la pauvreté touche plus de 90% de la population et les guerres civiles se succèdent.

Après   la province du Katanga, riche de tout, réclamant en vain  dès  1960 son  indépendance, jamais la paix n’est vraiment revenue :   en 1994, les massacres  au Rwanda, provoquèrent  l’arrivée de milices hutues au Kivu,   région frontalière du Rwanda et de l’Ouganda,    et la  chute en 1997,  du président Mobutu, dictateur en place depuis la naissance du pays.     En novembre 1999,  un accord   entre la RDC, l’Ouganda et le Rwanda   mit    en place une  mission militaire  des Nations Unies, la  MONUC, devenue MONUSCO , qui  compte  aujourd’hui  22 000 hommes, mobilisant  20% du total des moyens de l’ONU pour les opérations de maintien de la paix . Elle ne stoppa rien : au Nord-Kivu,  des dizaines de groupes rebelles aux origines ethniques, nationales et politiques différentes, certains  soutenues en sous-main par l’Ouganda et le Rwanda,  s’entredéchirent. En particulier,  depuis avril 2012, des  rebelles  tutsis réintégrés dans l’armée régulière  en 2009 après un illusoire  accord de paix ont lancé  un nouveau mouvement particulièrement violent,  baptisé le M23. Son écrasement  en cours par la MINUSCO, disposant d’un mandat plus offensif et de brigades d’intervention,  et en particulier la libération de la ville de Goma, ne suffira pas à rétablir la paix ;  une   quarantaine d’autres milices, qui  contrôlent l’exploitation et la vente des ressources minières,  prospèrent  dans la région ; elles sont  hutue, tutsi, maï-mai, et autres ; elles  se nomment parfois    Forces démocratiques de libération du Rwanda, Armée nationale de libération de l’Ouganda. On y trouve des mercenaires islamistes d’Al-Shabbaab et des milliers d’enfants soldats. Dans l’indifférence générale, elles multiplient les meurtres,  les  viols et les mutilations.

La proposition du  président congolais Kabila d’une amnistie pour tous ceux qui se rendraient ne suffira pas car  les  milices se nourrissent  des trafics des immenses richesses du Kivu, si essentielles au monde ; et  la guerre menace maintenant  entre le Congo et le Rwanda. Des millions de morts nouveaux s’annoncent à l’horizon,

Pour l’éviter, il faudrait que tous les groupes armés déposent les armes,  qu’un Etat congolais reconstruit reprenne le  contrôle de l’exploitation et de la vente des ressources minières ;  qu’une paix soit réellement établie entre le Congo,  le Rwanda et l’Ouganda  et qu’un vrai processus démocratique s’installe dans tous les pays de  la région. Nous en sommes très  loin.

L’Europe ne peut  pas se contenter de l’action militaire de l’ONU, qui donne  à chacun un prétexte pour ne plus s’en occuper,  parce que notre  avenir s’y joue. Et  que comme le montre tous les jours ce qui se joue à nos frontières, le destin de l’Afrique la plus australe et celui de l’Europe la plus nordique sont intimement liés.

j@attali.com