– Vous avez déclaré vouloir convaincre François Hollande de transférer symboliquement les « cendres » de Diderot au Panthéon. En quoi cela vous semble-t-il un « combat » si important ?
Ce n’est pas mon « combat », c’est simplement une suggestion au président de la République, que j’ai faite. Ce n’est pas fondamental pour moi, personnellement, mais je crois que c’est important de profiter du 300e anniversaire de la naissance de Diderot pour remettre ce personnage considérable de l’Histoire de France au premier rang. C’est l’occasion d’effacer une injustice, puisque tous les autres grands personnages des Lumières sont au Panthéon – Voltaire comme Rousseau – et de trouver une solution pour montrer que l’Histoire de France s’inscrit dans une longue continuité dans laquelle un personnage comme Diderot incarne une grande modernité.
– Vous écrivez, dans « Diderot ou le bonheur de penser », qu’il est le plus important des auteurs des Lumières. En quoi, selon vous, est-il plus essentiel que Voltaire ou Rousseau?
Je pense qu’on verra de lui plus tard beaucoup de choses essentielles, combien il a apporté, notamment à la littérature française. C’est un des grands réinventeurs du roman, du théâtre, l’un des grands acteurs de la science avec L’Encyclopédie. C’est un écrivain bien plus intéressant que Rousseau ou Voltaire – une grande partie des oeuvres de Rousseau sont d’ailleurs inspirées de ces conversations avec Diderot. Rousseau et surtout Voltaire sont racistes et antisémites, ce qui n’est pas vraiment le cas de Diderot. Son oeuvre est plus courte, mais le territoire, son ampleur, infiniment plus vastes.
– Comment expliquer qu’après sa mort, à la Révolution, le philosophe déchaîne les haines parfois les plus violentes ?
Il a en effet déchaîné beaucoup de haine parce qu’il était athée. Les Chrétiens étaient contre lui et les partisans de Robespierre, comme tous les partisans de l’Etre suprême, ne supportaient pas son choix de l’athéisme pur, qui était contraire à leurs propres conceptions. C’est pour cela qu’il a été oublié et maltraité, en dehors du fait que l’essentiel de ses oeuvres n’avait pas été publié de son vivant.
– Quel aspect de sa personnalité vous fascine le plus ?
Tout me touche. L’encyclopédiste, tout d’abord. L’Encyclopédie est un travail passionnant et très audacieux, merveilleusement bien écrit et qui fait réfléchir à la langue française. Sa conscience (correspondance ?) proprement amoureuse est d’une très grande sensualité. Son théâtre, oublié, mais d’une grande qualité. Quant à Jacques Le Fataliste et Le Neveu de Rameau, ils présentent des dialogues avec soi-même absolument universels où l’on apprend beaucoup sur la condition humaine.
– Vous écrivez qu’il a « tout vu de la fin d’un monde et tout compris de celui qui s’annonçait ». En quoi ce qu’il a compris au XVIIIe siècle, sa manière de penser et ses idées sont-ils encore utiles pour nous, dans le monde d’aujourd’hui ?
Sa façon de penser, de se révolter, de s’émouvoir, d’écouter les autres, sa gentillesse sont des choses absolument utiles à la compréhension du monde d’aujourd’hui. Cette attitude humble, universelle, englobante, empathique, douce, sans aigreur, me paraît un comportement extrêmement moderne. Comprendre le XVIIIe siècle est important, tant les points communs sont nombreux avec notre époque. L’on vit, comme à cette époque, un grand bouleversement technologique. Il y a la même volonté d’arche de Noé avant le Déluge, de rassembler et de mettre ensemble les connaissances. Il est frappant de voir que L’Encyclopédie renvoie aux même idéaux que ce qui a été pensé au moment des lancements de Google et de Wikipédia…C’était aussi une époque, où la Chine est une puissance très grande, où une grande puissance dominante s’efface, où la démocratie et la liberté se développent, et où la France n’arrive pas à se réformer et va aboutir à une révolution…
– Dans votre panthéon personnel, y a-t-il des penseurs, du moins en France, aussi majeurs que Diderot ?
Blaise Pascal me paraît incontournable. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si j’ai consacré une biographie à l’un et à l’autre. Il y a un grand nombre de points communs entre eux : ce sont tous deux de très grands penseurs de la condition humaine et de grands maîtres de la langue française.
– Quel ouvrage de Diderot conseilleriez-vous à un novice de lire ?
Si je ne devais choisir qu’un seul texte, je choisirais Jacques Le Fataliste, puis, ensuite, sa correspondance.