DDM : François Hollande a-t-il péché par irréalisme ou a-t-il voulu faire preuve de tactique avec l’Europe en prônant longtemps une réduction des déficits de 3 % en 2013 pour finalement abandonner cet objectif ?
JA : Non. C’était un objectif raisonnable. Mais on peut comprendre que le gouvernement ne puisse pas l’atteindre. Si on avait affiché un objectif supérieur, on aurait eu un effet pire. La conjoncture internationale est telle qu’on ne peut pas en vouloir au gouvernement. Tout le monde est dans le même cas.
DDM : Est-ce que c’est grave dans ce contexte ?
JA : Le plus grave dans la publication des derniers chiffres, c’est l’absence de croissance parce qu’on ne peut résorber le déficit que par la croissance. C’est un cercle dont on ne peut sortir. La volonté de limiter le déficit ne doit pas aboutir à réduire la croissance encore plus. Il ne faut surtout pas être trop dur dans l’austérité maintenant.
DDM : Que faut-il faire alors en période de croissance nulle ?
JA :Il faut faire des économies de gestion importantes car il y a des gaspillages considérables qui pèsent sur la croissance. Non pas dans le but de réduire le déficit, mais afin d’augmenter l’efficacité du pays.
DDM :Le ministre Pierre Moscovici dit qu’il ne veut pas rajouter de l’austérité aux difficultés. Mais ne va-t-il pas y être contraint ? Dans quels domaines préconisez-vous des économies de gestion ?
JA : Je pense qu’il y a d’abord trop de dépenses qui ne sont pas ciblées sur les populations les plus méritantes, comme par exemple les allocations logement qui ne reviennent pas à ceux qui en ont vraiment besoin.
De même, la formation professionnelle constitue un gaspillage énorme par rapport à ce qui se fait ailleurs alors qu’elle devrait être focalisée sur les chômeurs.
Il y a trop de taxes parafiscales qui s’adressent à des chambres de commerce et à des institutions dont les usages s’avèrent problématiques. On dépense également trop en allocations familiales qui n’ont pas de raison d’être destinées à des classes supérieures – au moins, elles devraient être intégrées dans le revenu imposable. Quant aux dépenses des collectivités locales, elles devraient être mieux contrôlées. Bref, il y a grand nombre de dépenses qu’on pourrait mieux maîtriser.
DDM :Cela suffira-t-il ?
JA : Le problème, ce n’est pas de réduire les dépenses pour limiter les déficits mais de créer les conditions pour relancer la croissance. Pour cela, il faut concentrer les dépenses publiques vers l’innovation, vers la formation et tout ce qui est productif, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
DDM :Les mesures prises par le gouvernement comme le pacte de compétitivité ou bien l’accord sur la flexisécurité sont-ils un premier pas ?
JA :Ce sont d’excellentes mesures mais qui vont prendre du temps avant de produire leurs effets car elles doivent passer devant le Parlement. Il faut aller beaucoup plus loin, notamment en matière de formation pour sortir du chômage les sans-emploi.
DDM : Comment expliquez-vous que ceux qui prônaient l’austérité il y a encore quelques mois affirment aujourd’hui que l’austérité tue le retour de la croissance ?
JA : J’ai toujours dit que dix -sept plans d’austérité ne composaient pas un plan de croissance et qu’il fallait combiner la rigueur nationale avec un plan de relance européenne. Aujourd’hui, cela reste d’actualité. Si on ne fait qu’une relance française sans relance européenne, elle sera inefficace.
DDM :En clair, cela signifie qu’avec une seule cure d’austérité on risque de mourir guéri…
JA : La question ne se pose pas en terme d’austérité ou de non-austérité, mais en terme d’efficacité. Il faut concentrer les dépenses sur ce qui est le plus favorable à la croissance. Il faut se demander seulement si chaque euro dépensé par l’État sert la croissance ou pas.
DDM :Est-ce Bruxelles qui tient le sort de la France entre ses mains en décidant soit d’accorder un délai à la France pour respecter son objectif de réduction du déficit, soit en l’enjoignant de respecter cet objectif en 2013 ?
JA : Nous faisons partie d’un ensemble européen, et nous avons la même monnaie. Si nous avons la même monnaie, nous devons avoir une conception commune des choses. Il est clair que cette conception commune nous amène nécessairement à avoir une coordination de nos politiques. Chacun a compris en Europe que la priorité, c’était la croissance.
DDM : Donc vous pensez que Bruxelles accordera un délai à la France ?
JA :Oui. Bruxelles le fera. Mais ce n’est pas la principale question. Ce qu’il faut surtout se demander c’est de savoir si tous les Européens ensemble vont décider un programme de relance.
DDM : Ce que l’on attend depuis longtemps et qui ne se produit pas…
JA :En effet. Sauf de la part de la Banque centrale qui l’a fait et qui a sauvé l’euro.
DDM : Mais la Commission de Bruxelles ne pourrait-elle pas être un peu plus souple en période de récession plutôt que de conserver de manière immuable les fameux 3 % ? L’Europe ne se met-elle pas ainsi la corde au cou elle-même ?
JA : Il faut à tout prix réduire nos dettes, ce qui passe à la fois par l’efficacité et la réduction des déficits et par la relance européenne. Si on continue à augmenter le déficit sans relancer la croissance, on se dirige vers une situation à la grecque ou à l’américaine qui sont des pays en faillite.