«Il est temps pour Hollande d’être plus clair»
Alors que les mauvaises nouvelles s’enchaînent pour l’exécutif socialiste, l’économiste Jacques Attali défend l’action de François Hollande et de son gouvernement. Tout en appelant de ses vœux une accélération des réformes.
Ancien conseiller de François Mitterrand à l’Elysée, l’économiste et écrivain Jacques Attali avait présidé une commission sur la croissance à la demandeduprésidentSarkozyen2007, avant de soutenir François Hollande en 2012. Il vient de publier «Diderot ou le bonheur de penser»(Fayard).
Les 75%retoqués
Le Conseil constitutionnel a annulé la taxation à 75 %, mesure phare de François Hollande. Est-ce une décision politique ?
JACQUES ATTALI. La décision du Conseil constitutionnel s’impose à tous. Quoi qu’on en pense. Elle fixe une jurisprudence utile mais qui reste encore très vague. Et laisse de la place pour une nouvelle loi.
Quelle a été votre réaction à la polémique sur l’exil fiscal de Gérard Depardieu ?
Je trouve triste que certains partent. C’est ingrat vis-à-vis du pays qui leur a apporté leur éducation, celle de leurs enfants. Depuis 2001, dernière année du gouvernement Jospin, jusqu’à 2011 compris, les impôts ont baissé.
L’Insee a calculé 800milliards de pertes de recettes fiscales. La pression fiscale a diminué. C’est toujours très populaire
de diminuer les impôts pour gagner les élections. Mais on ne peut pas continuer. La hausse actuelle des impôts est donc un rattrapage. En régime de croisière, l’impôt maximal doit être de 60%.Mais dans cette période, qu’il y ait une tranche à 75 % pour deux ans, ce ne serait pas tragique. L’impôt sur la fortune dont le taux, supérieur au rendement du capital, est excessif, doit être réformé pour ne pas forcer au départ ceux qui peuvent investir.
Le chômage, la crise
Le nombre de demandeurs d’emploi a augmenté pour le 19e mois d’affilée. Le chômage est-il une fatalité ?
L’économie, c’est un grand bateau, donc cela tourne lentement. L’emploi vient avec la croissance : il faudrait
entre1,5 et 2 points de croissance pour stabiliser l’emploi. On va avoir entre 20 000 et 50 000 demandeurs d’emploi
supplémentaires chaque fois, pendant encore six-neuf mois…
François Hollande a promis d’inverser la courbe du chômage d’ici à fin2013, est-ce réaliste ?
Cela me paraît possible, grâce à différents moyens. Au plan mondial, on aura une croissance pour 2013 de 3,5 %. A un moment ou à un autre, 2013, 2014 ou 2015, cette croissance devrait avoir un impact sur l’Europe.
Ensuite, il faut aussi intervenir au niveau européen, en agissant sur deux leviers rapidement : baisser l’euro et emprunter. Si l’euro valait un dollar, et non 1,30$ ou1,40$,notre potentiel d’exportation serait très fort. On confond toujours un euro solide avec un euro fort. Du coup, pour cette raison, les hommes politiques n’osent pas dire qu’il faut une dévaluation de l’euro. C’est une erreur.
Hollande devrait-il demander cette dévaluation à ses homologues européens ?
Oui. Il doit aussi demander qu’on utilise la capacité d’emprunt de l’Europe. Celle-ci n’a aucune dette. Si l’eurozone empruntait pour investir, ce serait considérable .Il y a la bonne et la mauvaise dette. Les ménages le savent bien, si l’on emprunte pour consommer, c’est de la mauvaise dette. Si l’on emprunte pour acheter un appartement ou monter un commerce, c’est de la bonne dette. Il ne faut pas diaboliser la dette dans tous les cas.
« Le modèle allemand est catastrophique »
Est-ce la même chose au niveau national ?
Bien sûr. Si l’Etat emprunte à 2 % pour faire des investissements publics qui rapportent 4 %, il n’y a pas
besoin d’impôts pour financer. Il y a beaucoup d’investissements rentables, dans le logement, les économies d’énergie…L’Etat a les moyens d’emprunter à 2%, c’est une occasion unique, profitons-en.
Quelles autres pistes voyez-vous contre le chômage ?
Il faut aussi favoriser la création d’entreprise par les jeunes. Ily a un potentiel gigantesque dans les quartiers. Le
coût de la création d’un emploi pérenne de plus de trois ans est identique au coût de la même personne au chômage pendant trois mois ! Enfin, dernier outil très important qui n’a pas encore été utilisé en France, c’est la formation des chômeurs. La formation permanente est réservée pour l’essentiel aux salariés. Les syndicats ne s’occupant que des travailleurs, personne ne finance la formation des chômeurs. Or c’est un élément clé pour les faire entrer sur le marché du travail. Les pays qui l’ont fait ont réduit massivement le chômage. Tout ce dont je parle existe, mais de façon
homéopathique. Il faut mettre des moyens massifs sur ce qui marche.
Faut-il prendre exemple sur l’Allemagne ?
Attention au modèle allemand. Pourquoi les Allemands n’ont pas de chômage? Parce qu’ils n’ont pas d’enfant et que les femmes ne travaillent pas. Ce modèle est catastrophique. Ils ne pourront pas payer les retraites. Nous, nous sommes dans une très bonne situation démographique, il ne faut surtout pas imiter le modèle allemand sur ce point. En revanche, prenons modèle sur leur formation en alternance.
La réindustrialisation
Edouard Martin, syndicaliste CFDT de l’usine de Florange, a écrit à François Hollande pour lui demander de reconsidérer la Solution de nationalisation temporaire…
L’avenir de Florange, ce n’est pas une nationalisation de Florange. On a eu tort de ballotter ainsi les ouvriers. L’acier, c’est stratégique, on ne peut pas se permettre de laisser la sidérurgie entre les mains de pillards, comme Mittal et consorts. Mais plutôt que de réfléchir à une nationalisation, pensons à une continentalisation. C’est-à-dire à une prise de
contrôle par l’Union européenne de la sidérurgie.
La commande aux chantiers navals de Saint-Nazaire est-elle le signe qu’une réindustrialisation de la France est possible ?
Cela veut dire premièrement qu’il y a des investisseurs étrangers qui se comportent bien. Le groupe coréen
STX qui gère Saint-Nazaire a une vraie vision des métiers de lamer. Cela prouve que l’avenir de la France est d’être une grande puissance maritime, qu’elle a des compétences exceptionnelles et que le niveau de salaire n’a aucune importance.
Comment jugez-vous le rôle d’Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif ?
Je préférerais qu’il s’intéresse plus aux entreprises nouvelles, à celles qui innovent. L’important est d’aider à la
Création d’emplois. Il y a des entreprises qui ne sont pas sauvables. Pour les autres emplois, il faut se battre bec et ongles comme ce qui a été fait à Saint- Nazaire.
Hollande, le gouvernement
Sept mois après la victoire de la gauche, les sondages sont très mauvais pour Hollande et Ayrault…
C’était inévitable. Avant les élections, j’avais prédit « une gueule de bois après le7mai».C’est une équipe nouvelle, des personnes qui, pour la plupart, ont de grandes expériences d’élus locaux mais qui n’avaient jamais été dans un gouvernement. C’est normal qu’il y ait eu besoin d’une période de rodage. Mais je souligne que l’homme politique le plus impopulaire est à droite, il s’agit de Jean-François Copé.
Jean-Marc Ayrault vous paraît-il à la hauteur à Matignon ?
Biensûr. Il est tout à fait au niveau. Ce qui devrait être plus clair, c’est la fixation des grands objectifs, la finalité du projet. C’est au président de fixer cette vision.
François Hollande est-il assez dans un rôle d’arbitre ? Certains lui reprochent d’avoir gardé ses habitudes d’homme de la synthèse au PS…
Cela lui a permis d’être élu président. Comment voulez-vous qu’un homme qui a réussi comme cela change ce qui marche ? Je pense quand même qu’il est temps pour François Hollande d’être plus clair sur les objectifs, sur la vision.
« Au gouvernement, ils commencent à peine à savoir où sont les boutons, les manettes»
Vous avez travaillé avec Ségolène Royal, doit-elle entrer au gouvernement ?
Il y a beaucoup de gens de qualité qui ne sont pas dans le gouvernement. Mais un remaniement serait une faute. Ces gens commencent à peine à savoir où sont les boutons, les manettes, à voir comment ça fonctionne… De plus, 2013 est la seule année sans élections, à partir de 2014 il y en aura tous les ans, ce sera donc très difficile d’agir. Je serai très exigeant sur les réformesde2013.
Propos recueillispar
ROSALIE LUCAS ETHENRIVERNET