Comment jugez-vous la situation des finances publiques de la France ? Cette dimension va-t-elle prendre une part importante dans les nouvelles propositions de la Commission pour la libération de la croissance ?
Oui. Ce sera très important. La situation est très grave. Dans notre précédent rapport, nous recommandions déjà de ramener la dette publique à 60 % de PIB en 2013, avec une série d’économies budgétaires à la clef. Mais ces préconisations n’ont malheureusement pas été mises en oeuvre et il faut désormais s’attendre à voir, si rien n’est fait, la dette atteindre 90 % de PIB en 2013 et dépasser 100 % en 2020, si ce n’est pas 120 %. La maîtrise des finances publiques sera donc l’une des trois priorités de notre nouveau rapport qui sera prêt fin août-début septembre, avec la problématique de l’éducation et de l’emploi, ainsi que les investissements d’avenir. Il y aura en tout une trentaine de propositions. Nous voulons définir le programme commun minimum qui devra être appliqué, quoi qu’il arrive, sans interruption pendant les dix ans qui viennent et quelle que soit la couleur politique des présidents de la République.
Quel doit être l’objectif en matière de dette ?
Il faut stabiliser la dette à l’horizon 2013, c’est une première étape, et la ramener ensuite vers 60 % de PIB d’ici à 2020. Cela nécessite des efforts gigantesques, et qui sont incontournables car les risques en cas d’inaction seraient immenses. Les marchés nous menacent notamment d’augmenter les taux d’intérêt. Le redressement des finances publiques est devenu aujourd’hui une condition du retour de la croissance. C’est la dette qui est un frein. Le mécanisme keynésien ne fonctionne plus à ces niveaux de déficit. Dans l’inconscient du pays, on sent que l’on n’est pas à l’abri de ce qui est arrivé à la Grèce. Nous avons devant nous non pas trois ans de rigueur mais dix. Il faut une mobilisation générale du pays. Sinon, nous courons à la catastrophe.
Cela ne risque-t-il tout de même pas de freiner la croissance ?
Non. Et nous n’allons pas être la commission de l’austérité qui proposera une politique de déflation comme Pierre Laval en 1934 ! Il ne s’agit pas de faire n’importe quoi. Il faut, à la fois, trouver un maximum d’économies sur la dépense sans pénaliser l’activité et investir pour muscler la croissance. Nous ne sommes pas des « déclinophiles ». La France et l’Europe sont très riches, très puissantes et dotées de grands atouts. Il ne s’agit pas de sortir du déclin mais de ne pas y tomber.
Quelle est l’ampleur des économies à réaliser ?
Si la croissance atteint 2,5 % par an entre 2011 et 2013, il faut trouver environ 20 milliards d’euros d’économies et de recettes nouvelles chaque année pour revenir à 3 % de déficit en 2013. Mais si on ne réalise que 1,5 %, ce qui est proche de la croissance potentielle du pays actuelle, il faudra trouver le double, soit un effort de 30 milliards par an uniquement pour stabiliser la dette. Et n’oublions pas qu’il faudra ensuite continuer, au-delà de 2013, au rythme de 20 milliards par an pour la diminuer. La commission n’a pas encore tranché sur le taux de croissance à retenir. Se fonder sur des hypothèses prudentes et raisonnables paraîtrait pour le moins pertinent au vu du contexte : 2 % semble malheureusement un maximum, pour 2011 au moins.
Faut-il augmenter massivement les impôts ?
Non, il faut d’abord agir en priorité par la réduction des dépenses, et compléter cette action par les recettes. J’insiste sur la nécessité d’avoir toujours à l’esprit la justice sociale. Il faut une rigueur socialement juste. Donc, aussi, une action sur les recettes pour remplacer des recettes injustes par des recettes justes.
Cela passe par exemple par une mise sous condition de ressource de l’ensemble des prestations sociales et allocations ?
C’est en effet une hypothèse sur laquelle nous travaillons. La commission avait déjà préconisé la mise sous condition de ressource des allocations familiales dans son dernier rapport, et cette proposition sera certainement reformulée, et sans doute généralisée.
Quid du bouclier fiscal, systématiquement dénoncé par la gauche au nom de la justice sociale ?
On peut imaginer de le supprimer, peut-être en même temps que l’ISF, en compensant cela par une hausse de l’impôt sur le revenu pour les plus aisés et un relèvement de l’impôt sur les successions. Cela fait partie de nos multiples sujets en débat.
Plus globalement, vous défendez une « fiscalité de croissance ». Qu’entendez-vous par cette expression ?
Il faut transformer notre fiscalité archaïque, à prélèvements obligatoires constants, pour favoriser davantage l’activité. Cela veut dire taxer davantage le foncier et moins l’innovation et la création de richesse. Cela veut dire accroître la fiscalité environnementale, via la création d’une taxe sur le carbone ajouté (TCA), car la France doit rattraper son retard. Cela peut aussi signifier une plus grande progressivité de l’impôt.
Faut-il relever la TVA, comme le préconisent certains ?
Nous n’avons pas encore fait notre religion sur la TVA. Une hausse aurait un impact négatif fort sur la consommation et la croissance, mais c’est aussi le cas pour la dette.
L’idée du gouvernement de raboter toutes les niches fiscales de 10 % est-elle pertinente ?
Il est pertinent de réduire les niches mais nous travaillons plutôt sur l’abaissement ou la suppression de celles qui ont le moins d’effet sur la croissance et qui sont le plus injustes. Il faut privilégier une politique ciblée.
Le programme de stabilité français, qui prévoit le retour du déficit à 3 % de PIB en 2013, est-il crédible ?
Il le sera à deux conditions : que la croissance soit au rendez-vous et que le gouvernement affiche dès aujourd’hui les économies chiffrées à réaliser sur trois ans, si la croissance n’est pas au rendez-vous. Pour l’heure, il a détaillé des mesures pour 2011 en faisant l’hypothèse, volontariste, d’un taux de croissance de 2,5 %. Mais il faut le faire aussi pour 2012 et 2013. C’est un exercice très difficile à l’approche d’une échéance présidentielle, car il y aura forcément des mesures impopulaires.
Que préconisez-vous à l’échelon européen ?
Le moteur européen est indispensable pour libérer la croissance. Cela peut passer, entre autres, par une ambition commune franco-allemande, une action renforcée de la Banque européenne d’investissement et par la mise en oeuvre de bons du Trésor européen.
Comment redresser le marché de l’emploi ?
Le taux de chômage est de 15 à 20 % chez les jeunes et de 30 à 40 % pour les jeunes des banlieues. Cela ne peut pas durer. Nous réfléchissons à la mise en place d’un contrat de travail moins morcelé, à l’évolution de la formation professionnelle et de l’alternance ou encore à l’accompagnement des chômeurs. Il faut considérer la situation des chercheurs d’emploi comme une activité méritant rémunération sous forme d’un « contrat d’évolution ».
PROPOS RECUEILLIS PAR ÉTIENNE LEFEBVRE ET FRÉDÉRIC SCHAEFFER, Les Echos