Rien n’est plus dangereux que la confusion des concepts. En particulier de ceux qui visent à désigner ce à quoi on s’oppose. En général, une telle confusion est un préalable au désordre des esprits et à la violence des actes.
Et aujourd’hui, on est souvent anti-tout et n’importe quoi, sans vraiment cibler précisément ce à quoi on s’oppose.
Par exemple, on distingue de plus en plus mal « antisémitisme » et » antisionisme » ; et les plus farouches partisans du gouvernement israélien traitent ainsi d’antisémite quiconque ose critiquer la politique du gouvernement de Jérusalem.
De fait, il faudrait, pour être précis, distinguer trois concepts sans presque aucune relation les uns avec les autres : L’antisémitisme désigne ceux qui détestent le peuple juif, dans toutes ses dimensions en lui attribuant toutes une série de défauts imaginaires. L’antisionisme désigne ceux qui s’opposent à l’existence de l’Etat d’Israël. Aucun nom ne désigne ceux qui s’opposent à la politique de l’actuel gouvernement israélien, sans pour autant remettre en cause l’existence de l’Etat d’Israël et encore moins être antisémites. Je propose de les nommer « antibibistes » ; en référence au diminutif (Bibi) du nom du premier ministre israélien qui mène cette politique.
Beaucoup d’Israéliens, de Palestiniens, et de gens de bonne volonté du monde entier ne sont qu’antibibistes, sans pour autant être ni antisionistes, ni antisémites. Et seuls les partisans de ce désastreux premier ministre, en Israël comme ailleurs, ont intérêt à entretenir cette suicidaire confusion.
Et il est donc urgent de rappeler que, pour beaucoup d’Israéliens et de Palestiniens, d’Arabes et de Juifs du monde entier, et pour la plupart des gens de bonne volonté, il existe une solution équitable au problème israélo-palestinien : deux Etats, dans des frontières sures et reconnues ; pour eux, le « bibisme », qui s’y oppose chaque jour, conduit inéluctablement à l’impossibilité définitive de créer un Etat palestinien viable, puis à l’abandon par les Palestiniens de cette revendication, puis à la constitution d’un Etat unique, transformant immédiatement Israël en un nouvel Afrique du Sud comme du temps de l’Apartheid. Le « bibisme » est ainsi, à long terme, le pire ennemi d’Israël, le pire ennemi du sionisme ; le meilleur allié de l’antisémitisme.
De même, en symétrie, bien des gens mêlent dans une même opprobre les Islamistes, les Palestiniens et les musulmans. Alors que ces groupes doivent être évidemment soigneusement distingués.
Cette double confusion, si elle se prolonge, plongera dans la violence non seulement le Moyen Orient, mais aussi toutes les régions du monde où les religions du Livre vivent aujourd’hui en paix. Et en particulier la France.
Il est urgent de dire clairement qu’on peut s’opposer à la fois à Netanyahou et au Hamas, tout en étant partisans de la paix, et respectueux les uns des autres.
Ces distinctions, si essentielles, entre les différentes formes de l’opposition, doivent être faites aussi dans bien d’autres champs ; tels ceux de l’économie, de l’art, de l’idéologie, de la géopolitique. Ainsi, on ne doit pas confondre « antiaméricain », « anti Trump » et « anticapitaliste ». Ou encore « antirusse » et « anti Poutine ». Et cesser d’entretenir tant d’autres confusions dangereuses.
Plus généralement, dans une société civilisée, et qui vise à la paix, il vaut mieux se définir comme « pro » que comme » anti ». On découvrira alors qu’on peut à la fois être « propalestinien » et « pro-israélien ». « Proaméricain » et « prorusse ». « Proeuropéen » et « profrançais ».
La vie est plus facile, dans toutes ses dimensions, si on se définit par ce qu’on approuve et non par ce qu’on rejette.
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