Prenez un ballon d’enfant, un de ces ballons qu’on trouve encore dans les foires ou sur les manèges des fêtes foraines. Un ballon rond, ovale, ou en forme d’animal. Il est beau, il est rutilant. Pourtant, un coup d’épingle suffit à le rendre flasque à jamais.

Prenez un ballon de foot, bien gonflé, un de ces ballons que des milliards de gens ont vus récemment. A priori, il est indestructible. Une épingle ne peut rien contre son enveloppe qui résiste aussi à tous les coups de pied du monde. Par contre, si on emploie un couteau, ou si on trouve la valve par laquelle il a été gonflé, il n’est bientôt plus qu’un morceau de caoutchouc sans importance.

Mais, si le ballon est plein, comme le sont certains ballons de plage en mousse, ou les ballons qu’on utilise en salle de sport, nul ne peut le détruire, il résiste à tout.
A priori, rien ne distingue pourtant ces trois sortes de ballons. Ils sont, à première vue, identiques, même si l’usage en est fort différent. Parfois même, les ballons les plus fragiles sont les plus rutilants, les plus attirants, les plus convoités. Et ce n’est qu’en tentant de les percer qu’on en comprend la vulnérabilité.

On aura, j’espère, compris la métaphore : une entreprise, une nation, un Etat, un chef d’Etat, un être humain quelconque, peut faire illusion, faire croire à sa force, son utilité, sa durabilité, jusqu’à ce qu’une épreuve de vérité vienne révéler la réalité de sa consistance, de son épaisseur, de sa capacité à résister aux coups d’une épingle, aux entailles d’un couteau, au tourne- vis ouvrant une valve.

Cette épaisseur, d’une entité ou d’une personne, est fort difficile à prévoir, à deviner de l’extérieur. Et on est parfois fort surpris. On a connu des entreprises apparemment indestructibles disparaître en un instant. D’autres, apparemment fragiles, contrecarrer toutes les adversités. On a vu, (on voit tous les jours), des gens s’effondrer quand leur réputation est mise à mal, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. On a vu, à l’inverse, des entreprises, ou des gens, contrer ce genre d’attaques, et rebondir jusqu’au triomphe. Même si, un temps, ils paraîssent en grand danger. Ces gens, ou ces entités, sont solides ; ils ont de l’épaisseur, de la volonté, une raison d’être qui les dépasse, une capacité à comprendre la raison pour laquelle ils sont attaqués et à détourner la lame qui les entaillent.

Et, de même, ce ne sont pas ceux qui sont apparemment les plus forts qui résistent le mieux à la torture, ou à la tentation de trahir, ou d’être corrompu.

Comme l’épingle révèle la nature du ballon, la crise révèle la nature de l’organisation ou de l’être humain qu’elle menace.

Pour ne parler que des chefs d’Etat, leurs réactions aux attaques sont fort différentes. Certains, comme le Président Trump, sont d’une solidité absolue : malgré les innombrables coups de poignard dont il est lardé tous les jours, il réplique, contre-attaque, sur tous les fronts, jusqu’à ce que, peut-être, un jour, les adversaires se lassent, ou bien qu’ils trouvent le point vulnérable, le défaut dans la cuirasse, qui conduirait à sa démission. D’autres préfèrent le silence, convaincus que leur propre épaisseur est telle que les épingles ou les couteaux se briseront sur eux. D’autres encore, et ce sont les meilleurs, cherchent, avec élégance, franchise et à-propos, à reconnaître leurs erreurs, à les remettre en perspective, à expliquer en quoi elles leur permettent de progresser, et d’être plus efficaces encore pour la nation qui les a élus.

C’est évidemment une leçon utile pour les crises du jour.

A moins que la métaphore du ballon et de l’épingle ne suffise pas, et qu’on soit plutôt, comme je l’ai prévu ici à plusieurs reprises, dans une transition entre un dégagisme soft et un dégagisme hard, quand un peuple ne se contente plus d’affaiblir le système qui le dirige, et qu’il veut en finir avec lui. Les épingles ne sont alors que les prétextes pour se débarrasser d’un ballon dont on ne veut plus.

La seule réponse est, dans ce cas, de recréer le désir de ce ballon, de montrer sa valeur, sa force, son épaisseur, son utilité : Dans la vie publique, comme dans la vie privée, rien ne vaut le désir et le projet, le désir du projet.

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