Il n’y a pas de meilleure métaphore du monde d’aujourd’hui que d’imaginer que nous sommes tous, humains et autres vivants, embarqués sur un même bateau. Certains y jouent leurs rôles, se sentant responsables de leur environnement et des dettes laissées aux générations futures. D’autres se moquent de tout, jouissent des avantages, et se conduisent en passagers clandestins, profitant du voyage sans rien payer ; laissant le bateau se dégrader.
Ce bateau, c’est notre planète.
Ce comportement est très général, à tous les niveaux. Il est dans la logique de l’idéologie dominante, individualiste ; que cet individualisme trouve sa source dans le libéralisme économique, le libéralisme politique, le populisme, le narcissisme, le bouddhisme, ou tout autre forme d’apologie du « moi d’abord ».
Bien des gens profitent des services communs, sans payer leur part des frais communs ou faire leur part des travaux utiles à tous. Et il existe aussi bien des passagers clandestins à l’échelle d’une nation, d’un territoire ; et même dans les familles, dont certains membres profitent du travail des autres, sans rien partager des tâches communes.
Contrairement à l’image traditionnelle, et à ce que beaucoup essaient de faire croire, les passagers clandestins ne se recrutent pas principalement parmi les plus pauvres ou les migrants : on sait bien que les plus riches sont passés maîtres en l’art de ne pas payer leur quote part ; qu’ils soient des pique-assiettes professionnels ou d’inconscients milliardaires, à qui tout est dû, croient-ils.
Ce comportement est la cause principale de la situation actuelle du monde, qu’il s’agisse du climat, de la pollution, des déchets, de la dette publique, des injustices, de la misère matérielle et morale de temps de gens.
Pire encore, beaucoup de ces passagers clandestins, poussant l’égoïsme jusqu’à se permettre de critiquer l’état du monde, des nations et des familles, et des services communs, oubliant qu’ils en sont les parasites. Parfois même, certains vont jusqu’à menacer de quitter le bateau, oubliant les bénéfices qu’ils en tirent.
Nous sommes tous tentés, dans toutes les communautés auxquelles nous appartenons, de penser que les autres sont des passagers clandestins, qu’ils ne paient pas leur dû, qu’ils n’accomplissent pas leur part du travail commun ; et à reprocher à tous les autres, à la cantonade, un comportement égoïste ; chacun de nous voit les autres, trop souvent, comme des parasites, vivant à nos crochets. Et plus nous voyons les autres ainsi, moins nous faisons d’efforts pour être nous-même de bons citoyens ; et moins nous réussissons à maintenir une vie commune.
Pour autant, nous devons honnêtement nous interroger, sur notre propre situation : Sommes-nous certains de payer une part honnête de notre voyage sur cette planète ? Sommes-nous certains de faire notre juste part du travail de maintien en état de notre nation, de notre territoire, de notre famille ? Une introspection en la matière est plus que nécessaire, en permanence.
En particulier, en cette veille d’élections européennes, cette question se pose aussi à ce niveau. Il est clair que les Britanniques ont choisi, très largement et depuis le début, d’être des passagers clandestins de l’Union Européenne, refusant de contribuer à la solidarité du continent ; et ils en tirent maintenant des conséquences, en quittant le bateau ; d’autres pays, qui ne pensent pas un instant à partir, sont pire encore, tels les paradis fiscaux et les pays qui font tout ce qu’ils peuvent pour réduire leur contribution au budget communautaire ; telles aussi le sont les entreprises qui bénéficient des avantages du marché unique et refusent de payer tout impôt spécifiquement européen. Et tant d’autres.
D’où l’importance de l’idée d’un véritable budget européen, qui puisse être financé par des contributions nationales, pour mettre à niveau nos infrastructures communes, sociales et environnement ; quitte pour cela à installer un nouveau parlement européen ne regroupant que des représentants des parlement nationaux des pays prêts à contribuer aux couts et aux bénéfices de tels investissements spécifiques.
Il est temps de repenser l’ensemble de nos comportements, en famille, dans les territoires, les pays, l’Europe et la planète, pour faire en sorte que nous puissions transmettre aux générations futures autre chose que des vieilles carcasses rouillées de bateaux à la dérive.
j@attali.com