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Au moment où commence un mandat présidentiel nouveau, et après tant de bruits et de fureurs, il est temps de réfléchir au pays où nous rêverions de vivre dans cinq ans, de le décrire et de se demander ce qu’il convient de faire pour le rendre possible.
S’il est assez facile d’écrire le scénario noir d’une année 2027 où tout aurait échoué (une France ruinée, divisée, ingouvernable, dans une Europe défaite, confrontée à un conflit sur son sol et à une crise climatique devenue incontrôlable), il est plus intéressant de tenter d’imaginer ce que pourrait être une France qui aurait réussi à échapper à ses démons. Et de se demander comment rendre accessible cet idéal.
On pourrait pour cela se contenter de se fixer quelques objectifs quantitatifs : un taux de croissance, d’inflation, un niveau d’emploi, de pouvoir d’achat, de déficit budgétaire, de dette publique, d’excèdent commercial, d’émissions de CO2 (et mieux encore, une valeur aussi réduite que possible de notre empreinte carbone). On pourrait y ajouter un meilleur classement PISA de nos différents niveaux d’éducation, une plus grande espérance de vie en bonne santé, une mobilité sociale améliorée, et une retraite aussi longue et heureuse que possible pour tous.
Il est tentant d’en rester à une telle définition de l’avenir : Après tout, en général, ce qui ne se mesure pas aisément ne se conçoit pas clairement.
Et pourtant, je préfère définir autrement la France dont je rêve pour 2027 : Pour moi, ce serait d’abord un pays qui aurait retrouvé sa confiance en lui-même ; impatient de son avenir plutôt que nostalgique de son passé ; un pays où chacun aurait retrouvé le sentiment qu’il est possible pour lui et ses enfants de vivre mieux ; un pays tendu vers le meilleur, qui aurait le sentiment que tout peut lui réussir, comme il en a parfois le sentiment en sortant vainqueur d’une coupe du monde de football ou comme il l’aura peut-être après les prochains Jeux Olympiques, à Paris, en 2024.
Pour qu’un tel scenario se réalise en 2027, il faudrait que la France soit alors apaisée socialement et politiquement. Il faudrait qu’on y ait mis en place des mécanismes pérennes de dialogue institutionnels, que chacun reconnaitrait comme légitimes, permettant de réaliser en cinq ans des avancées considérables dans la qualité du débat politique, l’efficacité de la politique sociale et de l’action écologique. Un pays où chacun aurait pu transformer son découragement en un projet et sa résignation en une motivation.
Il faudrait en particulier qu’en 2027, au moment des prochaines échéances électorales principales, on ait pu en finir avec l’actuel déni de réalité de l’essentiel de la classe politique, pour en venir à un débat lucide sur la réalité des problèmes du pays, où on s’accorderait au moins sur les chiffres, entre deux projets de société, l’un porté par une gauche démocratique et l’autre par une droite républicaine, l’un et l’autre, différemment, attachés à renforcer notre influence dans une Europe en construction et dans une Francophonie à bâtir. Un pays où la colère de tous se serait muée en une impatience de chacun. Un pays où chacun aura retrouvé confiance en notre système éducatif, notre système de santé, notre alimentation, notre sécurité, nos moyens de transports, notre système fiscal. Et surtout dans l’éthique de tous ceux qui aspirent à le gouverner.
Pour parvenir à ce point en 2027, à partir de l’état de grande violence et de délabrement matériel et moral où nous sommes, plus que des mesures technocratiques, c’est de l’énoncé de visions et de valeurs dont nous avons besoin. Tant par le pouvoir que par les oppositions. Tant par les syndicats que par les partis politiques, les entrepreneurs, les artistes, les intellectuels. Chacun a sa part à jouer, sans se contenter d’accuser les autres de nos défauts communs.
Si nous nous engageons enfin sur cette voie que notre grand pays masochiste a toujours refusé de suivre, nous comprendrions vite que nous sommes un pays privilégié, avec énormément de moyens, d’opportunités, de chances, de talents ; que nous n’avons plus le droit de les gâcher et que nous avons encore les moyens d’échapper au toboggan, juste là devant nous, qui peut nous conduire à un gouffre.
Si nous y parvenons, la France des années trente sera le pays le plus heureux du monde.
j@attali.com