La montée de la violence, la concentration des richesses et des pouvoirs, la dégradation du climat, les progrès de l’intelligence artificielle sont reconnus parmi les enjeux les plus importants de demain. Il en est un autre au moins, qu’on oublie trop souvent, et qui va avoir très rapidement des conséquences majeures : l’allongement planétaire de la durée de vie humaine.

Les données sont claires : depuis 2022, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, le nombre d’adultes de plus de 50 ans dépasse celui des moins de 15 ans ; en 2024, l’espérance de vie mondiale est supérieure à 70 ans. De plus, au moins dans les pays développés, la moitié des enfants d’aujourd’hui devrait vivre plus de 90 ans.

En 2040, le nombre des moins de 15 ans n’aura pas changé, alors que celui des plus de 50 ans aura augmenté de 800 millions ; ces 800 millions seront concentrés pour l’essentiel dans 10 pays émergents en Asie. En 2050, il y aura 1,6 milliards de personnes de plus de 65 ans. On rentre donc dans un monde plus vieux. Et dans un monde de vieux, tout le monde devra travailler plus longtemps.

Dans les pays pauvres qui vieillissent (et ils sont nombreux dans ce cas), c’est   particulièrement une mauvaise nouvelle, car rien n’est plus terrible, pour un pays, que de devenir vieux sans être devenu riche et d’avoir mis en place des systèmes de solidarité.

Dans les pays riches qui se seront dotés, à temps, d’un système sérieux de sécurité sociale, comme en Europe du Nord, cela signifiera l’obligation de consacrer une part croissante des dépenses publiques, donc des impôts et des cotisations, au financement de la santé et des retraites. C’est-à-dire une profonde réorganisation de la société. En attendant de voir si un accueil et une intégration réussie d’étrangers ou un retour de la natalité domestique peut changer la donne.

Dans les autres, comme aux Etats-Unis, le marché considèrera avec convoitise les gens âgés solvables comme des consommateurs prêts à dépenser des fortunes pour ne pas mourir, clients prometteurs des produits et des services spécifiques d’une « économie de la longévité », pour se soigner, se déplacer, voyager, se loger, se nourrir, se distraire, et s’assurer contre tous les risques.

C’est encore plus vrai pour les ultra-riches, qui commencent à dépenser des fortunes dans l’espoir de rajeunir, et même dans celui, illusoire, de ne jamais mourir. Pour ces gens-là, tenants du transhumanisme, l’âge n’est qu’une maladie, dont on peut espérer guérir. Ce fantasme constitue dès aujourd’hui un marché prometteur, sur lequel se sont lancées de très nombreuses entreprises. Parmi elles, celle de Jeff Bezos (qui ne s’occupe pas que de Amazon et de la conquête de l’espace) et Yuri Milner (qui ne s’occupe pas que de ses fonds d’investissements), Altos Labs, créée en 2022, avec 3 milliards de dollars, réunissant quelques-uns des meilleurs spécialistes mondiaux de gérontologie et de génétique, promettant non seulement de restaurer la santé des gens très âgés, mais aussi de reprogrammer leurs cellules pour faire disparaître les handicaps liés à l’âge. Certaines de ces entreprises annoncent à leurs actionnaires avoir déjà obtenu des résultats significatifs, promettant de repérer un jour les facteurs du vieillissement dès l’embryon, de fournir aux plus riches les moyens de retarder leur propre vieillissement, ou même de rajeunir et de choisir l’espérance de vie de leurs enfants.

Tout cela n’est qu’une des multiples dérives à laquelle pourrait conduire l’alliance d’une démographie déclinante, de l’avidité marchande et de la folie technologique.

De fait, la véritable économie de la longévité n’est pas cette privatisation forcenée des services aux personnes âgées ; et encore moins dans le transhumanisme. Elle est d’abord dans la prévention, qui reste pourtant, l’oubli majeur de presque toutes les politiques de santé ; en particulier en France, où elle représente moins de 2% des dépenses de santé contre près de 3% en moyenne en Europe ; et où, seulement 22% des femmes éligibles ont effectué un dépistage du cancer du col de l’utérus contre une moyenne de 50% dans l’ensemble de l’Union européenne et de plus de 80% au Danemark et en Finlande.

La prévention supposerait, plus généralement, de mettre en pratique des règles simples : faire des check-up sérieux à intervalles réguliers (sans tomber dans la tyrannie de l’autosurveillance permanente de milliers de paramètres), faire une heure de sport par jour, ne plus manger de sucre artificiel, cesser de fumer, réduire massivement la consommation d’alcool et de café. Rien n’est plus simple. Et pourtant, rien n’est moins pratiqué. De fait, cela renvoie à quelque chose de plus général : comme pour l’environnement, où on se prépare plus facilement à devoir adapter les villes au réchauffement climatique qu’à faire ce qu’il faudrait pour l’éviter ; on préfère attendre d’avoir à réparer un dommage plutôt que de faire ce qu’il faut pour l’éviter. Ce serait si simple de faire autrement.

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