La réforme annoncée du baccalauréat, et celle, décidée, des conditions de l’admission dans les institutions universitaires, fournissent une occasion de poser enfin sérieusement le problème de l’organisation des études supérieures.
D’abord, quelques évidences :
1. Mis à part ceux dont la vocation est clairement affirmée, et ceux dont les parents disposent d’un capital financier ou culturel élevé, la plupart des adolescents d’aujourd’hui ne savent pas comment choisir le métier qui leur conviendrait le mieux.
2. Une part tres importante des métiers aujourd’hui existants auront disparu quand entreront sur le marché du travail ceux des adolescents aujourd’hui au lycée et disposant des moyens de faire des études supérieures.
3. A quelques rares exceptions près, les adolescents privilégiés par le capital culturel et financier de leur famille fuient les universités pour tenter de passer par la voie sélective des grandes écoles ou des institutions propres à leurs vocations.
4. Quand on a échoué à trouver sa voie pendant ses études, il est pratiquement impossible de se rattraper à l’âge adulte : en France, l’échec n’est pas une façon d’apprendre, mais une bifurcation définitive.
5. La formation permanente dont le budget est, en France, plus du double de celui des universités (hors recherche) leur échappe aujourd’hui presque entièrement au profit d’entreprises privées, en général sans aucune légitimité académique, ni vérification sérieuse de leur efficacité ; et elle ne sert en rien à rattraper les échecs des études initiales.
Il découle de cela que :
1. La formation supérieure initiale doit cesser d’être pensée comme la clé d’entrée unique dans des carrières à vie, garantissant un statut social, dont les autres seraient exclus.
2. L’apprentissage et l’alternance, doivent constituer des modes de formation supérieure naturels, jusqu’au doctorat.
3. Les universités doivent pouvoir suivre en permanence la carrière de leurs anciens élèves, en déduire des modifications de leurs cursus et devenir, comme le sont déjà certaines grandes écoles, des lieux de formation permanente, où les élèves reviennent à intervalles réguliers acquérir de nouvelles compétences.
Cela suppose des modifications absolument radicales de la façon dont nous pensons notre système d’enseignement supérieur :
1. D’abord en termes financiers : les universités doivent réclamer une part majeure des ressources de la formation permanente et se doter des compétences nécessaires pour rendre ces nouveaux services.
2. Puis en termes logistiques : avec ces nouvelles ressources, et pour rendre ces nouveaux services, les universités, les bibliothèques, les cafétérias, les lieux de rencontre des professeurs et des élèves, devront rester ouvertes 16 h sur 24h, 12 mois sur 12.
3. Enfin, en termes de statuts : la carrière d’un enseignant devra dépendre au moins autant, sinon plus, de sa capacité à enseigner à des jeunes étudiants et à des cadres confirmés, que de sa capacité à faire de la recherche, qui doivent cependant rester indissociables.
Ces mutations seront extraordinairement difficiles à conduire : la gouvernance de l’enseignement supérieur et celles de la formation professionnelle et de la formation permanente sont aux antipodes les unes des autres. Si on y parvient, on aura enfin donné à la France les moyens de ses ambitions.
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