Le gouvernement italien est applaudi de tous quand il revendique le droit de décider de sa politique sans obéir à des bureaucrates bruxellois. Pourtant, ce n’est pas si simple : quand on est endetté, on est entre les mains de ses créanciers. Et les gouvernements italiens successifs, qui ont laissé s’accumuler une dette de 2000 milliards, n’échappent pas à cette règle.
Car, tout devient brusquement plus difficile : la BCE, qui achetait chaque année plus que le montant des dettes nouvelles émises par l’Italie, a commencé à réduire ses achats de titres ; et la dette italienne doit maintenant être plus largement financée par le secteur privé, qui ne se prive pas pour faire monter les taux, en raison des risques.
A la fin de l’année, ce sera pire encore : la BCE va interrompre totalement ses achats de titres publics et le secteur privé fixera seul la valeur des emprunts des pays européens.
Comment l’Italie va-t-elle alors trouver les 250 milliards dont elle aura besoin en 2019 ?
Si l’on suit les règles de l’Eurozone (qui sont maintenant extrêmement strictes et ne pourraient être modifiées que par un improbable accord unanime de tous ses membres) l’Italie devra se financer sur les marchés. Et si elle ne peut y parvenir, elle ne pourra recevoir l’aide des autres Européens et de la BCE, que si elle met en place un programme très contraignant de réduction de sa dette publique.
Et si le doute vient sur les marchés quant à la capacité de l’Italie d’accepter un tel effort, les taux d’intérêt monteront plus encore ; ce qui mettra en péril les banques italiennes, entraînera une fuite des épargnants italiens devant les risques que courront leurs dépôts (si j’étais italien, j’y penserais déjà) et, par une prophétie autoréalisatrice, menacera l’existence même du système bancaire italien.
Pour échapper à ce désastre, les banques italiennes devront alors, selon les règles en vigueur, chercher des financements auprès de leurs actionnaires, puis de leurs créanciers, puis de leurs déposants. Et si cela ne suffit pas, les règles de l’Union prévoit que la banque devra être liquidée.
Les épargnants italiens auront alors payé la dette publique avec leurs dépôts, et le pays s’effondrera. Entraînant une crise mondiale majeure.
De fait, aucune autre solution n’est possible. Ni un financement américain, russe, ou chinois. Et en agissant comme elle le fait, la commission défend l’intérêt de la zone euro et du peuple italien. Aussi, le gouvernement de Rome aurait tort de croire que les autres Européens, paniqués, les financeront sans condition. Car c’est impossible ; les textes sont précis : aucun financement européen n’est possible sans plan de réduction de la dette italienne.
Cette crise peut encore être retardée, par mille expédients, jusqu’aux élections européennes prochaines. Pas beaucoup plus longtemps.
Aussi, les autres Européens, pour ne pas être entraînés dans la tourmente, devront-ils rompre leur solidarité avec les Italiens : après avoir tout fait pour les convaincre de revenir à la raison et de payer les dettes accumulées par leurs aînés, ils couperont tous les liens avec Rome, d’une façon ou d’une autre, la mort dans l’âme. Très bientôt.
Le gouvernement italien, abandonné à lui-même, pourrait alors tenter financer ses banques en émettant de nouvelles dettes publiques, qui seraient rachetées par ses banques, qu’il aurait ainsi financées. Ce serait évidemment de la monnaie de singe, entraînant l’Italie dans un chaos vénézuélien.
Par quelles catastrophes faudra-t-il passer pour revenir à la raison ?
Les crises à venir, que j’annonce de plus en plus fort, ne sont pas inévitables. Celle-là peut être évitée, par un dialogue franc et lucide avec les Italiens. En leur disant leurs vérités. En affrontant les nôtres.
Je ne me fais pas d’illusion : je serai encore taxé de pessimisme excessif.
Ce n’est pas nouveau, et cela ne s’adresse pas qu’à moi. Il y a plus de deux siècles, Nicolas de Chamfort remarquait : « En France, on laisse en repos ceux qui mettent le feu, et on persécute ceux qui sonnent le tocsin. »
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