Depuis qu’ont commencé les débats autour de la remise en cause de la citoyenneté française de gens soupçonnés d’actes délictueux et autour des expulsions de roms , on a vu se multiplier les critiques, comparant ces actes aux tragédies qui se sont produites en France à partir de la prise de pouvoir du maréchal Pétain : la remise en cause de la nationalité des délinquants a été comparée à celle de juifs étrangers en 1940 ; et on a comparé l’expulsion actuelle de quelques tsiganes aux rafles qui les touchèrent alors , en même temps que les juifs . On a même vu l’évêque de Toulouse, Monseigneur Le Gall, lire en chaire la lettre rédigée, en août 1942, par son prédécesseur, le magnifique cardinal Saliège, appelant à protéger les Juifs. Usant d’une même métaphore en sens inverse, on a vu Alain Minc protester contre le fait que Benoit XVI critique la politique française, arguant qu’étant allemand il n’aurait pas le droit moral de faire ce genre de critiques (« pas lui, pas ca »).
Quoi qu’on pense du fond de ces décisions, (que je trouve pour ma part parfaitement condamnables, dans le fonds et dans la forme, à un moment où au contraire il faudrait renforcer l’unité nationale et la solidarité européenne), rien n’est plus déplacé que d’oser cette comparaison avec ce qui s’est passé dans les années 40.
D’abord parce qu’à l’évidence, les dangers encourus par ceux des roms qu’on renvoie ainsi brutalement, dans leur pays d’origine, membre de l’Union Européenne, n’ont rien à voir avec le destin de ceux qui, raflés de 1940 à 1945, partaient en voyage vers la mort. Et ceux qui seraient menacés de perdre la nationalité ne courent en fait aucun risque de ce genre, en raison de la jurisprudence du conseil constitutionnel.
Ensuite parce que se servir de ce genre de comparaison révèle une volonté malsaine de revivre, mieux qu’on ne l’avait fait à l’époque, les événements de l’époque : l’Eglise ne fut pas aussi courageuse, dans son ensemble, face à Vichy, que ne voudrait le faire croire l’actuel évêque de Toulouse, et elle n’expiera pas ses péchés d’alors en se trompant de combat aujourd’hui. Plus généralement, ceux qui emploient ce vocabulaire tentent de se glisser, sans risques, dans les habits des trop rares résistants de l’époque.
Enfin parce qu’ils révèlent une incapacité à penser la nature nouvelle et condamnable de ces événements : ces gens ne sont pas expulsés ou menacés de perdre leur nationalité au nom d’une volonté exterminatrice, mais d’une manœuvre de diversion d’un pouvoir cherchant à faire parler d’autre chose que de la crise économique et sociale, et à montrer que, sur ce sujet au moins, il contrôle encore les événements.
Le phénomène n’est d’ailleurs pas que français : Steve Schwarzman, fondateur et PDG du fonds d’investissement américain Blackstone, s’est permis récemment de comparer la tentative de taxer les rémunérations astronomiques des gestionnaires des fonds d’investissements à …l’invasion de la Pologne par Hitler !
Notre monde est si difficile à comprendre que beaucoup se contentent de se rattacher à des métaphores anachroniques. Faute de mieux. Faute de pire. Faute de comprendre le monde. Qu’on y prenne garde : à force de refuser le réel, il finira par ressembler à sa caricature.
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