A voir la façon dont 2011 commence, en Europe, on pourrait aisément broyer du noir : un chômage partout en croissance, même en Allemagne, où il est camouflé par des subventions et des statistiques trompeuses ; une crise de confiance sans précédent dans les institutions ; une présidence de l’Union confiée, sans que nul ne proteste, à un gouvernement qui bafoue ouvertement les libertés de la presse et des artistes. Une banque centrale européenne devenue autiste, faute de mieux. Une récession qui s’installe, dans la paupérisation des services publics.
La suite pourrait être écrite d’avance : des élections perdues par tous les partis au pouvoir ; leurs dirigeants, sans autre repère que les sondages, à la recherche permanente de boucs émissaires, prêts à abandonner tout rôle d’éclaireur ou de guide, ne pensant plus qu’à conserver leurs fauteuils, suivant les réflexes d’indignation les plus sommaires de ceux qui les mandatent, tenant des discours de plus en plus xénophobes et démagogiques, pour concurrencer sur leur propre terrain les partis extrémistes.
Pessimisme ? Allons donc ! Regardez ce qui se joue déjà en Hongrie, en Belgique, aux Pays Bas, en Suisse ; regardez même comment évolue le débat politique dans notre pays : bien des politiciens , au pouvoir ou dans l’opposition, ont tenu sans complexe, lors de leurs vœux, sur l’insécurité, l’immigration, l’Europe, les causes de la crise financière, ou le chômage, des propos qu’on croyait réservés, il y a peu encore, aux délires du Front National. Et bien des médias, écrits ou audiovisuels, bien des humoristes, animateurs, journalistes, écrivains, ne se rendent pas compte qu’en jouant cette même musique, ils créent les conditions de leur propre marginalisation.
La seule façon d’enrayer cette dérive est de remettre le débat sur ses pieds ; d’exiger des hommes politiques qu’ils remplissent leur vraie mission, qui n’est pas d’exprimer les angoisses les plus sommaires de leurs mandants, mais de proclamer lucidement les formidables atouts de la France, (qui est, de loin, malgré ses faiblesses et ses injustices, la nation d’Europe la plus prometteuse, la mieux placée pour l’avenir), de donner du sens aux efforts en proposant un chemin, un projet à 20 ans, réaliste et enthousiasmant.
Plusieurs projets sont possibles. Au moins trois :
Une France libérale, misant tout sur la libération des initiatives, l’accueil de toutes les forces créatives, et la confiance dans le talent de chacun. Mêlant le génie français à l’esprit californien.
Une France social-démocrate, misant tout sur la solidarité, le soutien de tous ceux qui sont à la traine, la lutte contre le chômage. Mêlant le génie français à l’esprit suédois.
Une France fraternelle, mettant en avant la gratuité et l’altruisme, changeant réellement la nature de la production, réduisant massivement les besoins en ressources naturelles. Mêlant le génie français et l’esprit du monde.
Ces projets, et bien d’autres, sont respectables. Pour être crédibles, ils devront être étayés par des programmes de réformes réalistes et finançables, qui devront être présentés et débattus bien en amont des échéances présidentielles.
Si les candidats à ces élections ne dévoilent pas au plus vite de tels projets pour le pays, ils devront être dénoncés, comme s’étant mis, de fait, par leurs petites disputes et leurs minuscules ambitions, au service, même involontaire, de projets obscurs où s’engloutira la démocratie.