Deux extraordinaires casses ont fait les titres cette semaine : un convoyeur de fonds à Lyon part avec 11 millions d’euros après dix ans de bons et loyaux services ; et un postier part tranquillement avec un million d’euros. Des casses sans violences, fait l’un et l’autre par des gens modestes, apparemment sans histoire, agissant à visage découvert, ayant parfaitement préparé leurs coups, s’évaporant ensuite immédiatement dans la nature. Des casses où, en fait, personne n’est volé, sinon l’institution bancaire.
Des casses qui ne déclenchent aucune indignation, aucune révolte de l’opinion ; mais au contraire une sorte de jubilation collective. Leurs auteurs, (qui courent toujours, à l’heure où j’écris, même si une part significative du butin de l’un d’entre eux a été retrouvée) ont en effet immédiatement bénéficié d’une formidable popularité: des blogs, des teeshirts, des groupes sur Facebook et autres sites communautaires ont été créé à leur effigie. Et ce qu’on peut y lire, est signe d’un incroyable engouement, véritablement planétaire et révélateur de plusieurs dimensions de l’air du temps :
1. Le formidable discrédit du système financier mondial, qui peut etre braqué sans que nul ne proteste, parce qu’il est vu lui-même comme un voleur. Et qui de fait, au moins pour les banques américaines, a été la principale force de déclenchement de la crise actuelle.
2. La sympathie que s’attire un petit, un faible, un anonyme, lorsqu’il se révèle assez malin pour contourner les systèmes les mieux gardés, les plus puissants, au point de cristalliser l’admiration d’un grand nombre de gens, qui l’expriment ouvertement, au point de faire ouvertement l’apologie du pillage : ainsi de la banque comme de la musique, une fois de plus prophétique.
3. La fragilité d’un système financier, qui peut etre si facilement trompé, sur la toile par des traders sophistiqués et, dans la réalité matérielle, par des convoyeurs malins. Dans les deux cas, l’argent réel, tel que les gens l’utilisent et le convoitent, rejoint l’argent virtuel, tel que le système financier l’utilise, pour des montants incommensurables.
4. La disproportion des moyens consacrés à retrouver et punir les voleurs quand ils sont convoyeurs et de ceux utilisés pour retrouver les gens en marge de la loi quand ils sont banquiers. Pour les uns, la prison. Pour les autres, les paradis fiscaux et les bonus.
5. Le déclin inévitable de toute société où les voleurs sont mieux vus que les honnêtes gens ; une société incapable de s’assurer de la loyauté de ceux qui y vivent ; en particulier quand ce qui est en cause, c’est la légitimité du système financier, dont tout dépend.
6. La nécessité de repenser tous les systèmes de sécurité, physiques et virtuels, discrédités par les routines, et attaqués aujourd’hui de toutes parts.
7. Enfin et surtout, la nécessité de recréer une légitimé du rapport à l’argent, à la richesse, à la fortune qui devrait pouvoir etre considérée comme juste, lorsqu’elle est gagnée de façon utile à la société, et montrée du doigt lorsque celui qui l’accumule n’apporte aux autres que son regard narquois sur leur vulnérabilité.