Rien n’est plus absurde que la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui la France. Rien n’est plus dangereux aussi. Car, derrière la cacophonie extrême et la pathétique chasse aux postes, ce qui se trame est une coalition mortifère des deux extrêmes ; une coalition implicite et explicite.
Implicite parce que les extrêmes de gauche et de droite font tout pour éliminer quiconque pourrait les empêcher de s’affronter au second tour des prochaines présidentielles, quelle qu’en soit sa date. Et, pour cela, ils poussent tous les autres à gouverner ensemble, maintenant, pour les discréditer, ensuite, par les mesures impopulaires que la situation exige.
Explicite parce que l’une et l’autre ont en commun bien des projets : en revenir à la retraite à 60 ans, réduire le temps de travail, se rapprocher de la Russie, ne pas respecter les contraintes budgétaires commune de l’Union européenne et, in fine, en sortir.
De fait, si on y regarde bien, il n’y a rien là de surprenant : ces deux partis extrêmes se ressemblent ; l’un et l’autre sont dirigés comme des sectes, par les fidèles de leur fondateur et par leurs héritiers soigneusement choisis. L’un et l’autre ne s’embarrassent d’aucune démocratie interne ; l’un et l’autre ne se définissent que par leur haine d’une partie des Français, souvent les mêmes.
Un jour, si on n’y prend garde, cette coalition du pire débouchera sur l’élimination des partis démocratiques ; et le programme d’union des extrêmes sera mis en place, sous la direction de l’un ou de l’autre. Au moment où tant de choix majeurs et difficiles sont nécessaires, cela ferait basculer le pays du côté du déclin dans lequel certains signes montrent qu’il est déjà engagé.
Pour l’éviter, il faut d’abord admettre ce que tout le monde sait : il n’y a pas de majorité, ni de gauche, ni de droite. Il faudrait alors profiter du moment pour mettre en place ce que je nommerai un « gouvernement sacrificiel ». Pas un gouvernement pour ne rien faire, qui décevrait tout le monde, en attendant que l’un des deux extrêmes prenne le pouvoir ; mais un gouvernement véritablement sacrificiel, gouvernant dans le silence grommelant des partis, pour faire passer toutes les réformes urgentes et de bons sens que les partis n’ont pas eu le courage de faire jusque-là, et ne feront jamais.
Aussi, avant de savoir qui le dirigera et qui en seront les ministres, préparés à sacrifier une éventuelle carrière politique, il faut s’entendre sur la liste de ces réformes. Pour moi, elle devrait au moins contenir les réformes suivantes :
- Mise en place d’une proportionnelle départementale pour les élections législatives
- Mise en place d’une police de proximité
- Mise en place d’une conférence nationale des salaires
- Mise en place d’une taxe carbone, compensée par des soutiens pour les plus fragiles
- Mise en place d’une grande réforme pour lutter contre la corruption et en particulier la corruption des élus
- Remplacement de l’actuelle réforme des retraites, (qui ne rapportera de toute facon presque rien dans les trois ans qui viennent et qui a démontré par l’absurde qu’on ne peut pas fixer à la fois une durée de cotisations et un âge légal de départ) par le système à points, approuvé par de nombreux syndicats et qui semble aujourd’hui être le seul système juste
- Mise en place d’un impôt significatif sur la fortune dont le paiement pourrait etre réduit du montant réinvesti dans des entreprises non cotées ou alloué à des associations d’intérêt général
- Préparation d’un budget 2025 à moins de 4% de déficit. Avec des économies massives dans les transferts sociaux pour les classes supérieures ; des hausses d’impôts provisoires sur les très hautes fortunes et, en échange, un renforcement des moyens de la police, de la défense, de l’éducation, de la santé et de la justice
Pendant ce temps, les partis démocratiques feront ce qu’ils auraient dû faire depuis longtemps : se structurer, trouver de nouveaux cadres, mettre en œuvre une vraie démocratie interne, réfléchir à des propositions programmatiques originales et réalistes.
Mais, qu’ils se méfient : les Français pourraient être assez sages pour être reconnaissants à ceux qui se seront ainsi sacrifiés et leur confier durablement l’exercice d’un pouvoir, pour une fois désintéressé.
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Image : Denis Allard/Libération.