Dans la confidentialité la plus totale, un projet de loi essentiel est en train d’être adopté, avec l’accord de la gauche et la droite ; un projet de loi extraordinairement dangereux, qui modifie les conditions de tir des policiers.
Il tombe particulièrement mal après l’agression insensée d’un jeune homme par quelques policiers dévoyés à Aulnay-sous-Bois, après d’autres insupportables scandales de même nature, dans lesquels des policiers-voyous ont déshonoré leur magnifique profession. Et après les émeutes que ces scandales ont provoquées.
Ce projet de loi, (faisant suite aux incidents de Viry-Châtillon en octobre 2016, où des policiers avaient été attaqués par des groupes armés de cocktail Molotov), vise à durcir les peines pour outrage aux forces de l’ordre pour les aligner sur celles aux magistrats, passibles d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende ; à autoriser l’anonymat des enquêteurs afin de les protéger des représailles ; et, surtout, à assouplir les règles de tir des policiers, pour les aligner sur celles des gendarmes, des militaires de l’opération Sentinelle.
Le texte énumère cinq situations dans lesquelles les policiers pourront désormais faire usage de leurs armes à feu : lorsqu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent ; lorsqu’une personne cherche à échapper à leur garde, qu’ils ne peuvent l’arrêter autrement et qu’elle présente une menace ; lorsqu’ils ne peuvent arrêter autrement un véhicule présentant une menace ; et afin d’empêcher un « périple meurtrier ».
Selon ce texte, les policiers seront seuls juges des circonstances les autorisant à tirer, et à tuer, bien au-delà de la défense légitime contre des tueurs en action. S’il est utilisé par des fonctionnaires mal préparés, nul passant ne se sentira plus en sécurité. Et les émeutes en réponse pourraient utiliser les mêmes armes, dégénérant en guerre civile.
Ce projet de loi a pourtant été adopté par le Sénat le 24 janvier dernier et en première lecture, dans une version légèrement différente, par l’Assemblée Nationale le 8 février (par seulement 15 députés PS, LR et FN présents dans l’hémicycle et unis dans ce vote ; seuls les élus du Front de Gauche se sont abstenus). Les députés et les sénateurs devraient maintenant s’entendre sur une version commune afin que le projet de loi soit définitivement adopté avant la fin des travaux parlementaires, fin février.
Un texte aussi essentiel ne devrait pas etre voté, dans les circonstances actuelles, sans un vrai débat de fond sur les relations entre la police et les citoyens.
La police est un élément essentiel de la démocratie. Elle doit pouvoir se défendre quand elle est attaquée par des voyous ou des terroristes, ou quand d’autres citoyens le sont. Mais il est tout aussi important de ne pas permettre à des policiers qui seraient mal formés de tirer à tort et à travers ; cela pourrait entraîner des catastrophes bien au-delà des dérapages actuels par matraques ou poings. La police doit être formée pour cela. Or, ce texte ne dit rien de la formation nécessaire de ceux à qui on donnerait ainsi le droit de vie ou de mort sur leurs concitoyens.
La police doit aussi mieux s’inscrire dans la vie de la cité. On ne dira jamais assez le tort qu’a causé au pays la suppression par Nicolas Sarkozy de la police de proximité et le refus de la recréer par son successeur, malgré les efforts récents de Bernard Cazeneuve.
En ce moment si essentiel pour le pays, où menace très sérieusement l’élection d’une présidente qui ne s’embarrasserait pas de limitations juridiques pour donner tout pouvoir aux policiers et aucun aux juges, il faut prendre garde à ne pas appliquer son programme avant même son élection.