La campagne électorale française, comme celle qui l’ont précédé en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et aux Pays-Bas, et celles qui s’annoncent dans d’autres pays, est l’occasion, pour de très nombreux candidats, de se prononcer contre « le système », responsable de tous les malheurs, de tous les échecs, de toute les difficultés. C’est le « système » qui aurait créé le chômage, la pauvreté, le mal-logement, le mal de vivre, la malbouffe, le terrorisme et meme, prétendent certains, le réchauffement climatique.
Il n’est pas nouveau qu’on cherche une cause unique à tous les malheurs d’un temps. C’est meme une pratique courante. Les Grecs ont donné à cela le nom de « pharmakon », qu’on a traduit par « bouc émissaire », en référence à une ancienne pratique de Judée : celui qu’on punit pour les crimes de tous, pour éviter d’avoir à se venger les uns des autres ; et qui, par sa mort meme, rétablit l’ordre social. Au travers des siècles, bien des groupes et des peuples ont endossé ce rôle : sorcières, tziganes, noirs, arabes, franc maçons, juifs, chrétiens, musulmans, et tant d’autres étrangers au groupe .
Depuis quelques temps, ce rôle est de plus en plus attribué non plus à un groupe social, religieux ou national, mais à une étrange entité, qu’on appelle « le système ».
Le mot est assez vague pour que chacun de ceux qui l’utilisent, et chacun de ceux qui l’entendent, puisse y mettre ce qui les arrange : Pour certains de ceux qui l’emploient, ce sont les hommes politiques ; pour d’autres les chefs d’entreprise ou les riches ; pour d’autres encore les hauts fonctionnaires, français ou européens. Plus généralement, tous ceux qui font en sorte que la société fonctionne comme elle fonctionne aujourd’hui ; plus généralement encore, tous ceux qui ont réussi dans le cadre des règles du jeu actuel et qu’on désigne comme une oligarchie. Et plus généralement encore, les règles du jeu elles-mêmes, c’est-à-dire l’économie de marché, l’ouverture des frontières, le régime parlementaire, la démocratie ; ce système qui aboutit, aujourd’hui, à une situation frustrante, injuste, et inacceptable, à bien des égards, pour une vaste majorité des gens, qui n’ont pas d’espoir de voir leur situation s’y améliorer et où une petite minorité, devenant héréditaire, s’octroie tous les privilèges.
De même, ceux qui l’entendent y mettent un sens spécifique, en général celui de la cause qu’ils ressentent à leur insatisfaction, à leur sentiment d’injustice et de frustration.
Alors, quand vous entendrez parler du système, demandez-vous ce à quoi vous pensez, et vous saurez ce qui vous gêne dans la société, et vous vous demanderez si c’est juste. Vous vous demanderez ce que visent vraiment ceux qui le dénoncent, et s’ils ne font pas si peu de cas de ceux à qui ils parlent, qu’ils croient pouvoir leur faire croire à des généralités si sommaires.
Vous vous demanderez si, d’une certaine façon, le système, ce ne sont pas simplement, pour chacun de nous, les autres, quand on a des difficultés d’accepter leurs succès, quand on considère leur puissance ou leur richesse, ou leur réussite, comme illégitime. Vous vous demanderez s’il faut vraiment remettre en cause tout ce qui fait notre démocratie, notre mode de vie, notre laïcité, l’ouverture de nos frontières, notre capacité à accueillir notre part de la misère du monde ; ou s’il ne vaut pas mieux, encore et encore, améliorer profondément ce fragile et délicat équilibre, qu’on appelle la démocratie de marché. Pour faire en sorte que la sagesse de l’une équilibre la vitalité de l’autre.