Depuis très longtemps, on sait que le jour viendrait où la génomique tiendrait ses promesses. Il fallait pour cela que les progrès informatiques dégagent la puissance de calcul nécessaire pour réduire massivement le coût du séquençage du génome (végétal, animal et humain) ; et que les leçons soient tirées des premières expériences de clonage d’un être vivant et d’introduction de gènes d’une espèce dans une autre. Ce jour est arrivé. Et les exploits les plus insensés, rêves et cauchemars, sont désormais réalisables.
Ainsi, une équipe de chercheurs argentins, qui avait déjà su cloner une vache capable de produire de l’insuline, vient d’introduire simultanément deux gènes humains dans le génome d’un mammifère : une vache a reçu deux gènes humains contrôlant la production du lait maternel chez la femme ; ils permettront au lait de cette vache de contenir de la lactoferrine et du lysozyme, deux protéines très abondantes chez la femme et presque absentes chez la vache, favorisant chez les enfants qui en consommeront l’assimilation du fer, la fabrication des globules rouges, le développement des dents et de certaines cellules intestinales. Plus encore, les veaux issus de cette vache auront une chance sur trois de disposer des mêmes gènes modifiés.
A priori, il s’agit d’un grand progrès : qui peut critiquer une technique qui permettra d’améliorer la santé des enfants en améliorant les qualités du lait qu’ils consomment ? Pourtant, bien des questions se posent : le lait d’une telle vache sera-t- il consommable sans risque ? Une vache ainsi clonée et modifiée génétiquement est-elle encore une vache, ou bien constitue-t-elle l’amorce d’une nouvelle espèce animale ? A-t-elle une dimension humaine ? Enfin, consommer sa viande serait–il cannibale ?
Ces questions sont d’autant plus importantes que cette innovation, en apparence mineure, s’inscrit dans un ensemble de mutations beaucoup plus vastes, qui permettent déjà, et permettront plus encore demain, de faire porter des gènes humains par des animaux et, en travaillant sur les cellules souches, de rendre des organes animaux compatibles avec l’espèce humaine, afin de les y greffer. Plus loin encore, on créera des espèces animales nouvelles, des chimères, capables d’intervenir dans des milieux difficiles, radioactifs par exemple, ou de remplacer les hommes au combat. Et même, transgression suprême, de doter des animaux d’un cerveau proche de l’humain. Un peu plus tard, la rencontre de l’informatique, de la génomique, des nanotechnologies et des neurosciences permettra à l’homme de créer d’autres espèces, ultra-humaines, hyper-humaines.
Qu’on n’espère pas y mettre une barrière. A moins d’une très improbable police mondiale, faisant du génome un sanctuaire, on trouvera toujours un lieu pour mener ces expérimentations, peu couteuses, en les justifiant par la promesse de guérir des maladies rares ou de prolonger l’espérance de vie des hommes. Et même si l’Occident y résiste, les pays émergents, de l’Argentine à la Chine, en passant par le Brésil et demain le Nigéria et l’Indonésie, accueilleront des chercheurs prêts à tout. Après s’être débarrassé de Dieu, l’homme se sera débarrassé de lui-même.