Parmi les mille choses trop négligées que la situation actuelle fait resurgir, il y a, ou il devrait y avoir, le rôle majeur que joue de plus en plus, dans tout pays, le monde associatif et toutes les activités bénévoles, qu’elles soient exercées dans le contexte d’associations ou hors de tout cadre formel.

Avant même cette crise, ce secteur était, en France et ailleurs, considérable : En Europe, l’univers associatif représente environ 10% de l’emploi, dont les trois-quarts dans l’éducation, la santé, et les services sociaux.

En France, il y a environ 1.3 millions d’associations actives, dont la moitié exerce des activités culturelles, sportives, ou de loisirs ; chaque année, sont créées entre 60.000 et 75.000 associations nouvelles. Un petit nombre d’entre elles (moins de 15%) surtout dans le domaine social ont des salariés ; plus précisément, 163 400 d’entre elles emploient 1.8 million de salariés, soit presque 10% des employés du secteur privé ; et il faut y ajouter les 80 000 jeunes en service civique. Pourtant, leur part dans le PIB, valorisée par leur seul budget, n’est que de 80 milliards d’euros, soit environ 3.5% du PIB, ce qui souligne que ces salariés, aussi efficaces et utiles soient-ils, sont sous payés.

Si on y ajoute les bénévoles (ils sont 12 millions en France) qui travaillent gratuitement dans les associations, pour la plupart à temps partiel, et en ne valorisant leur travail qu’au même prix que l’est celui des salariés sous-payés du monde associatif, on augmente encore, dans chaque pays, le PIB de l’ordre de 2%, (Par exemple, la coalition d’associations américaines « The Independent Sector » estime en 2018 que la contribution des bénévoles à l’économie américaine est de 8 milliards d’heures travaillées et 300 milliards de dollars soit environ 1.5% du PIB américain).

Il faut y ajouter encore le bénévolat informel, hors de tout cadre associatif : aide aux voisins, garde d’enfants, et tant d’autres activités qui représentent encore, selon les pays de 2% à 10% du PIB ; il est particulièrement important dans les pays émergents. Et encore n’y compte- t-on pas tout le travail effectué, pour l’essentiel par les femmes, à l’intérieur des familles.

Que se passerait-il si toutes ces activités étaient rémunérées au prix du marché, par l’Etat, des collectivités territoriales, ou des mécènes ? Après tout, ce serait normal : il n’est pas juste que des gens soient bien moins rémunérés que d’autres pour remplir la même fonction socialement utile. Si tel était le cas, la part dans le PIB des activités sociales serait bien plus élevée qu’elle ne l’est, apparemment, aujourd’hui ; et bien des gens se plaignent, la trouvant excessive…

Avec le confinement, ces pratiques se sont encore considérablement développées. Entre personnes confinés ; et au service de ceux qui ne le sont pas. Les associations travaillent plus que jamais. Les bénévoles, formels ou informels, sont plus nombreux que jamais. Des plateformes numériques se sont même créées, pour organiser ce bénévolat au service de ceux qui sont en première ligne. Et la valeur sociale de ces activités s’est considérablement accrue.

Comme si, quand la crise fait baisser le PIB marchand, elle fait croître son symétrique, le non-PIB non-marchand.

Quand remontera le PIB, ce qui arrivera un jour, plus lointain sans doute qu’on ne le croit, il ne faudra pas oublier que c’est grâce à ce qu’il ne mesure pas que la société a pu survivre ; et que le marché a pu avoir le temps de se réorganiser. Si nos sociétés ne sont pas ingrates, ce qui est loin d’être établi, il faudra alors donner au monde associatif une place première majeure.

Dès maintenant, il faudrait leur donner les moyens de fonctionner, de grandir, de rendre de plus en plus de services ; et de rendre ainsi, ironiquement possible la survie d’une économie de marché dont, justement, ils ne font pas partie. Jamais le mécénat d’entreprises, les subventions aux ONG et aux associations, et la valorisation sociale et politique de ce secteur n’ont été plus nécessaires et urgentes.

j@attali.com