Au moment où j’écris, et peut être pour quelques heures ou quelques jours encore, les résultats des élections présidentielles américaines resteront incertains. Et bien d’autres choses le sont aussi : quand se terminera la pandémie ? Quand la crise économique prendra-t-elle fin ? Quand le terrorisme sera-t-il vaincu ?

Ces incertitudes se nourrissent l’une l’autre : selon le nom du prochain président américain, la gestion de la pandémie et de la crise économique aux Etats-Unis seront complétement différentes ; et la vie de dizaines de millions d’Américains sera totalement différente. Et, par ricochet, celle des milliards de gens sur la planète dont le sort est plus ou moins dépendant de celui des Etats-Unis.

Pour beaucoup de gens, c’est une situation insupportable : on peut craindre à chaque seconde d’être contaminé, de faire faillite, de perdre son emploi, de mourir dans une attaque terroriste. Il faut sortir au plus vite, disent-ils, de ce cauchemar, pour revenir aux certitudes antérieures.

Pour les rassurer, les gouvernements font ce qu’ils peuvent, en dépensant des sommes de plus en plus folles. Et les Banques centrales déversent, elles aussi, des trillions pour faire baisser les taux d’intérêt à des niveaux qui devraient être le reflet d’une grande confiance dans l’avenir. Chacun cherche aussi à se distraire, à se cultiver aussi, pour ne pas se laisser prendre dans l’angoisse générale.

Mais cela ne suffit pas à rassurer. La montée de toutes ces incertitudes provoque des désordres psychiques individuels. Elles provoquent des drames, surtout chez les plus fragiles, les moins protégés par un emploi assuré ou une pension décente. Elles font surgir des personnages qui se prétendent capables de rassurer : des gourous, des experts qu’on nomme « rassuristes », des hommes et femmes politiques porteurs de certitudes, sur le modèle du Président Trump ; des mouvements populistes, des sectes, des apprentis dictateurs, promettant aux peuples la résolution de tous les problèmes, la fin de la pandémie, la sécurité, la fin des incertitudes.

De fait, certaines de ces incertitudes seront levées très vite : Il y aura en janvier prochain un nouveau président des Etats-Unis. La pandémie se terminera ; la crise économique s’éloignera. Et même le terrorisme sera un jour vaincu.

Mais, pour autant, on ne reviendra pas à des certitudes.

D’abord parce qu’il y a eu bien des incertitudes avant celles d’aujourd’hui ; des incertitudes bien pires. En 1914. En 1929. En 1939. Et aussi quand, à deux reprises, au début des années 60 et au début des années 80, on n’est pas passé très loin d’un affrontement nucléaire américano-soviétique.

Ensuite, après les incertitudes d’aujourd’hui, il y en aura d’autres : des élections incertaines, d’autres crises sociales, écologiques, économiques et financières, d’autres pandémies, d’autres conflits, d’autres menaces, en particulier climatiques.

Enfin, parce que les certitudes qu’on regrette, et qu’on aimerait retrouver, sont imaginaires : juste avant la pandémie, les incertitudes étaient innombrables, pour la vie de chacun, en particulier des plus démunis, comme pour la vie des nations.

Et c’est bien cela, qu’il faut réaliser : la vie consiste toujours, à tout instant, à gérer des incertitudes. Celles qui découlent des choix que chacun doit faire à chaque instant. ; et celles qui découlent des choix des autres, proches ou éloignés.

Une vie libre ne vise pas à faire disparaître les incertitudes, mais à apprendre à s’y préparer. Et s’y préparer, ce n’est pas s’y résigner. C’est créer les conditions, individuelles et collectives, pour les réduire.

Par exemple, connaître les incertitudes qui pèsent sur sa santé ne devrait pas conduire à paniquer, mais à tout faire pour écarter ces risques. Connaître celles qui pèsent sur le comportement de ses proches, aide à créer les conditions pour les réduire, ou au moins s’y préparer. Connaître celles qui pèsent sur la valeur de son patrimoine, ou sur les études de ses enfants, c’est se mettre en situation de mieux le protéger. C’est choisir des gouvernements qui protègent et pas des gouvernements qui exacerbent les divisions et les risques. Connaître celles qui pèsent sur la nature des gouvernements futurs, sur l’évolution du climat, sur d’éventuelles nouvelles pandémies, devrait conduire non pas à mettre la tête dans le sable, à paniquer, ou à chercher des boucs émissaires, mais à chercher des solutions.

Et s’il n’y a qu’une leçon à retenir de cette période, c’est bien celle-là, trop oubliée : rien n’est pire que de perdre son sang-froid ; rien n’est pire que de paniquer. Il faut admettre l’existence de ces incertitudes, chercher à les dépasser ; agir avec calme, lucidité et sérénité ; faire face ; sourire, sans peur mais avec rage, et avancer.

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