Que le président actuel, et ses gouvernements successifs, n’aient pas encore réussi à sauver le pays, personne ne peut le contester : le chômage a, depuis 2 ans, augmenté de 500.000 personnes et la dette publique de 150 milliards ; le déficit extérieur atteint des niveaux extrêmes. Les départs de cadres, de jeunes, de chercheurs, de fortunes, de centre de décisions, se sont accélérés. Et, depuis deux ans, les réformes tardent à commencer.
Mais la droite française est la plus mal placée pour le dénoncer. Ses dirigeants ont pourtant atteint le sommet de l’impudeur avec leurs déclarations au moment du débat au Parlement du plan d’économies. Selon eux, la gauche n’aurait fait, depuis deux ans, que défaire un pays où tout allait bien. Et on les a entendus, sans vergogne, recommander à la gauche de se lancer d’urgence dans des réformes qu’ils n’avaient pas osé entreprendre quand ils étaient au pouvoir.
Il faut donc rappeler quelques vérités, que la droite aurait tort d’oublier :
1. Le pays allait très mal quand la gauche a pris la relève. Pendant le mandat du président précèdent (qui a, comme son successeur, bien géré les crises internationales), presque aucune réforme d’importance n’a été lancée pour moderniser le pays. Il n’y eut que quelques ébauches, bien trop timides, portant sur les universités, le droit du travail, la concurrence, la représentativité syndicale et le statut de l’entrepreneur.
2. La droite, comme la gauche, sait ce qui est nécessaire ; et il y a dans ce pays un consensus implicite de toutes les élites, politiques et syndicales, sur ce qu’il convient de faire pour moderniser le pays : rendre plus efficaces et plus justes les dépenses publiques, en particulier le financement du logement et des prestations sociales ; prolonger la durée du travail au rythme de l’augmentation de l’espérance de vie ; supprimer les départements ; concentrer la formation professionnelle sur les chômeurs ; développer la formation par alternance ; mettre en place une dévaluation fiscale pour améliorer la compétitivité ; développer la recherche ; relancer des grands investissements d’infrastructure ; briser les rentes des professions règlementées, des taxis aux commerces ; promouvoir la transition énergétique ; libérer les initiatives individuelles en particulier en renforçant les petites et moyennes entreprises; concentrer les moyens de l’éducation sur l’enseignement préscolaire. Et bien d’autres.
3. La droite ne peut prétendre qu’elle n’a pas eu le temps de faire ces réformes. Elle a été au pouvoir sans interruption pendant dix ans. Au lieu de réclamer à la gauche de revenir sur les 35 heures, ou de faire des économies, ou d’élargir le travail le dimanche, elle doit donc s’excuser auprès du pays pour ne pas avoir eu le courage de le faire quand elle en avait le pouvoir.
4. La droite ne peut prétendre que la crise lui interdisait de faire des réformes. Les autres pays d’Europe se sont justement réformés massivement pendant une crise, de l’Allemagne à la Grèce, de la Grande-Bretagne à l’Italie. De l’Espagne à la Suède. Et en France, les gouvernements de Lionel Jospin et de Jean-Pierre Raffarin ont démontré que, en cas d’abondance, on ne réforme pas d’avantage.
5. La droite est responsable de la brutalité des réformes lancées aujourd’hui, parce qu’elle a laissé tout empirer : par exemple, si les économies budgétaires et la réforme de la formation professionnelle avaient commencé dès 2009, comme cela avait été proposé, on aurait aujourd’hui 500.000 chômeurs de moins et 10 points de PIB de dette publique en moins. Et la gauche n’aurait pas eu à lancer en catastrophe, avec courage, un plan de 50 milliards d’économies, qui sera sans doute insuffisant.
6. La droite doit donc faire amende honorable et admettre ses propres erreurs. Car c’est d’elles qu’on apprend. Elle doit se faire un moment discrète, ne serait-ce que pour se préparer, éventuellement, à mieux gouverner la prochaine fois que les électeurs lui en donneront la charge.
Plus généralement, la classe politique française reste à des années-lumière de la maturité du peuple qu’elle est censée conduire. Et si les hommes politiques d’aujourd’hui ne sont pas capables d’affronter la vérité, et leurs erreurs, d’autres surgiront. De nulle part.
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