Le débat sur le collège est absurde et révèle la paralysie de la société française.
Rappelons les faits : plus de 20% des élèves sortent du primaire sans maîtriser les bases du français et du calcul ; et ils sont aussi nombreux à la fin du collège, perdus, destinés à devenir des bombes sociales. Tout le monde le sait. Tout le monde sait que cela va empirer. Et tout le monde prétend faire quelque chose pour cela. Mais chaque fois qu’un gouvernement, de gauche ou de droite, veut faire quelque chose, la coalition des conservateurs, de tout bord, explique qu’il ne faut toucher à rien, que notre système est le meilleur. Alors on ne change rien et d’année en année la situation empire.
Cette fois, c’est encore la même chose : dans l’hypocrisie générale, on débat furieusement de la réforme des programmes, qui n’est pas de la compétence du ministre, mais d’une commission bipartisane, qui n’a rendu pour l’instant qu’un rapport provisoire. Et on ne débat pas de ce qui est vraiment dans le projet de loi, et dans les décrets qui l’accompagnent, dont le point central est de laisser 20% du temps d’enseignement, de la sixième à la troisième, à la discrétion des principaux de collège, pour qu’ils puissent les adapter, avec leur équipe pédagogique, aux besoins de chaque groupe d’élèves, selon leur niveau; en particulier sous forme d’enseignement interdisciplinaire ou de cours particuliers. On fait semblant de s’opposer sur les programmes parce qu’on refuse d’admettre qu’on s’oppose en réalité sur la différenciation. L’enjeu réel n’est ni dans les programmes, qui ne dépendent pas du ministre, ni dans les classes bi-langues, qu’il faut sauver sans doute, mais dans les rapports de force à l’intérieur des collèges.
Et, de ce refus, tout le monde est complice : les enseignants parce qu’ils ne veulent pas reconnaître ouvertement qu’ils refusent qu’une quelconque autorité autre que la commission des programmes, puisse entrer dans leurs classes et leur dire quoi enseigner à leurs élèves ; la gauche, parce que les enseignants constituent le gros des troupes et qu’elle n’ose leur déplaire. La droite parce qu’elle ne tient pas à avouer qu’elle préfère ne pas remettre en cause les privilèges des meilleurs, pour donner leurs chances au moins favorisés. La droite fait semblant de défendre l’égalité de tous, pour défendre en réalité les privilèges de quelques-uns. Et la gauche fait semblant de s’opposer aux privilèges de quelques-uns pour défendre en réalité l’uniformité de tous.
Pourtant le débat est honorable et devrait avoir lieu ouvertement : l’uniformité est-elle au service de l’égalité ou de la protection des privilèges? Faut-il tout faire pour protéger ceux qui sont aujourd’hui les mieux servis au risque d’enfoncer plus encore ceux qui sont les plus défavorisés? Faut-il renoncer à donner à tous une chance d’éviter l’échec de peur que cela n’enlève aux meilleurs les ressources nécessaires à leurs succès ?
Pour ma part, je n’hésite pas : la différenciation, bien menée, ne nuit pas aux meilleurs et donne leur chance aux plus fragiles. Aussi, la réforme des collèges, horriblement mal expliquée, sortie de nulle part, est essentielle ; pour être cohérente, elle doit conduire à maintenir les classes bi-langues et elle ouvre la porte à bien plus de changements. Le principe d’une adaptation des programmes et des moyens selon les publics devra être appliqué non seulement au collège mais aussi dans le primaire et dans le préscolaire, où se joue l’essentiel et dont les moyens sont si insuffisants ; il faudra pour cela donner du pouvoir pédagogique aux directeurs d’école primaire, et laisser apparaître et se répandre des méthodes originales, mettant aussi à contribution les parents et les associant aux professeurs. Cela conduira à bien d’autres réformes, à commencer par celle de la formation des maîtres et des principaux, et à la revalorisation de leur rémunération, qui doit être bien plus élevée qu’elle ne l’est aujourd’hui, et évoluer, aussi objectivement que possible, au mérite.
L’enjeu est immense. L’avenir du pays se joue sur son école ; si cette réforme échoue, le pays reculera de vingt ans dans sa prise de conscience des enjeux. Plus encore s’il recule sans en débattre.