Dans nos démocraties chancelantes, la plupart des hommes politiques sont prêts à tout pour obtenir ou conserver le pouvoir. Les idées, les projets, les valeurs ou les programmes ont aussi peu d’importance pour eux qu’une enclume pour un aviateur ; on peut donc s’attendre à les voir prendre n’importe quelle position, pourvu qu’elle leur apporte un quart d’heure de gloire ou un point dans un sondage de popularité. Jamais le long terme, l’éthique et le courage n’ont été aussi absents. Jamais le populisme n’a été aussi envahissant, y compris dans les partis prétendant s’opposer à ceux qui s’en revendiquent.
En particulier en ce moment où plaire au peuple, tout en le méprisant, conduit à accepter n’importe quoi de sa part, presque aucun homme politique ne résistera, lorsqu’il y sera confronté, et de peur d’être dépassé par plus démagogique que lui, à céder à une demande pressante de l’opinion de mettre une question au vote, notamment d’organiser autour d’elle un référendum.
Or, il faut reconnaître que certains sujets ne sauraient être ainsi mis à l’encan : pourrait-on admettre, par exemple, qu’on soumette au vote populaire la question du rétablissement de la peine de mort ? Celle de la suppression du vote des femmes ? Celle de la remise en cause du caractère républicain du régime ? Celle du français comme langue officielle de notre pays ? Ou encore celle du droit à organiser des référendums ? Non, évidemment. On voit donc bien que toute question ne peut être posée au peuple, parce que certaines réformes constituent des avancées irréversibles de la civilisation et ne sauraient être remises en jeu par une génération, au détriment des suivantes.
Sur notre continent, il est une interrogation clef qui, si elle était soumise à référendum et emportait la majorité des suffrages, engagerait la destruction de l’Union européenne (UE), laquelle constitue justement un acquis dont nous ne pouvons priver les générations à venir. Plus que toutes les autres, elle déterminerait notre destin, et peut se libeller ainsi : « Souhaitez-vous que votre pays abandonne l’euro ? » Elle est cruciale : si on la pose au peuple d’un Etat important de l’UE, dans un mois ou dans un an, il lui sera apporté, du fait des humeurs du moment, une réponse positive.
L’expérience démontrant que, dans un référendum, on ne répond pas à la question formulée mais à celui qui a décidé de solliciter l’avis des citoyens, il est à mon sens certain que, si cette brèche est ouverte, l’euro disparaîtra sans tarder, et avec lui soixante-dix ans d’édification d’un continent pacifique, une première dans l’histoire de l’Europe. Par exemple, faire voter en 2005, par oui ou par non, sur la Constitution européenne, et en 2016 sur le Brexit, ne pouvait que conduire à des désillusions. La suite a montré dans le premier cas, et montrera dans le second, qu’un débat parlementaire est tout aussi démocratique et bien plus constructif.
Pour ma part, je jugerai les multiples candidats, aux diverses primaires comme à la prochaine élection présidentielle, à leur réponse à cette interrogation simple, que tous ceux qui comptent hors d’Europe (se) posent dès aujourd’hui : « Etes-vous favorable à un référendum sur le maintien de votre pays dans la zone euro ? » Je soutiens, même si cela n’est pas politiquement correct, que quiconque y réplique par l’affirmative est indigne de la fonction présidentielle, parce qu’incapable de penser à l’avenir du pays, tant il est obnubilé par son intérêt personnel. Or, penser au pays plus qu’à soi est, en politique, la seule question qui vaille.