S’il est un des rares sujets sur lesquels le président de la République semble faire l’unanimité aujourd’hui, c’est celui de l’importance de régler d’urgence le problème de la dépendance.
A droite comme à gauche, chacun semble penser que, en raison de l’allongement de l’espérance de vie, nous allons être bientôt noyés sous une armée de vieillards impotents, alzheimerisés ou parkinsoniens, dont les retraites ne suffiront pas à payer le coût de leur entretien, et qu’il faudra assister pendant de très longues années . Chacun croit que, si nous ne sommes pas capables de financer ce risque à l’avance, nous verrons réapparaître les anciens mouroirs, où des millions de vieux seront abandonnés pendant des décennies à un sort pitoyable.
En réalité, le fait de vivre plus longtemps n’augmente pas la durée de la dépendance, il ne fait que retarder la dernière année de vie, où se concentre l’essentiel des dépenses de santé. Sauf pour le petit nombre de ceux qui sont ou seront dépendants : ils sont un million aujourd’hui (3 millions si on compte les dépendances légères) et leur nombre n’augmentera que de 1 à 1,5% par an d’ici à 2040. La durée moyenne de la dépendance est de 3,7 ans pour les hommes. Un an de plus pour les femmes. La moitié des gens atteignant 65 ans connaîtront une année de dépendance. Seulement 6% des hommes et 15% des femmes connaîtront plus de 5 ans de vie en dépendance. Leur coût, aujourd’hui de l’ordre de 1% du PIB, augmentera de 4% par an, dont 2, 7% par an à la charge des ménages, dont 1,1% couvert par les retraites. Ce qui reste à financer n’augmentera donc que de 1,6% par an. Où est l’avalanche financière ?
De plus, le progrès technique va réduire ces dépenses en améliorant la santé, et en permettant un maintien à domicile. Enfin, les dépenses d’aide aux dépendants créent un grand nombre d’emplois.
La dépendance n’est donc pas un enjeu majeur aujourd’hui. En réalité, la raison pour laquelle ce sujet terrifie est que nous sommes dans des sociétés où domine de plus en plus l’égoïsme, le chacun pour soi, et la solitude. Chacun pense, au fond, qu’il sera abandonné par ses enfants, qu’il a d’ailleurs abandonné, et qu’il ne peut compter que sur lui-même, ou sur la société, mais plus sur ses proches. D’où un débat qui va tourner sur le seul étroit dilemme entre financement par des cotisations d’un « cinquième risque » (par la société) ou par l’assurance (par soi-même). De plus, en invoquant la nécessité de financer ces dépenses soi-disant cataclysmiques, les partisans de la réduction des dépenses de santé pensent trouver un argument de plus pour justifier leur position.
Enfin, comme nous sommes de plus en plus dans une société dominée par des vieux, ce n’est pas un hasard si le président a choisi comme grand défi national ce sujet et non celui de l’école maternelle : ceux qui craignent les mouroirs votent; ceux qui sont oubliés sans formation initiale de qualité ne votent pas. Là se met en place l’engrenage: les jeunes, qu’on oublie, se vengent sur les vieux, qui vivent aux crochets des plus jeunes.
Si l’on veut sortir de ce cercle infernal, il faut reconnaître que le vrai débat de la dépendance est ailleurs, dans l’attention que les uns ont pour les autres, sur le lien familial, sur la façon dont les parents s’occupent des enfants, sur l’empathie, la fraternité, l’altruisme.
Le président a raison de vouloir un débat sur le sujet de la dépendance. Il ne vaudra que si on n’en exclue aucune dimension.